Stupéfaction dans le monde de l'art, le célèbre et sulfureux tableau titré « L'Origine du Monde » de Gustave Courbet avait en fait un visage découvert en 2010 et acquis pour 1400 euros par un amateur d'art auprès d'un antiquaire parisien.

Peint en 1866, le tableau avait été acheté dans l'atelier du peintre par Khalil Bey, un diplomate turc libertin. A l'époque, Courbet utilisait comme modèle Joanna Hiffernan, une Irlandaise présentée à ce dernier par le peintre américain James Mc Neill Whistler et qui devint sa maîtresse.
La même année, Courbet avait d'ailleurs peint « La Belle Irlandaise » avant de réaliser trois autres portraits de Jo qui fut certainement son modèle pour « L'Origine du Monde » puisque le visage retrouvé est sans conteste le sien.
La rumeur courut qu'en apprenant l'existence de ce tableau, Whistler se fâcha avec Courbet et retourna précipitamment aux Etats-Unis en laissant toutefois un testament en faveur de Jo.
Le fait est que face à "L'Origine du Monde", les historiens d'art furent confrontés à une énigme car Jo était naturellement rousse alors que les poils pubiens montrés sur le tableau étaient bruns, vraisemblablement une option volontaire de la part de Courbet.
En 1996, dans "Le Roman de l'origine", dont le personnage central est le tableau lui-même, Bernard Teyssèdre avait imaginé Joanna Hiffernan comme étant son le modèle, une idée reprise par la romancière Christine Orban dans « J'étais l'origine du monde », publié en 2000 qui racontait comment que Jo, sa narratrice, fut l'amante de Courbet et le modèle du fameux tableau.
En 2000, lors d'une visite à Budapest dans l'atelier du peintre Pal Breznay, l'idée m'était venue de lui commander une version moderne de « L'Origine du Monde » avec une blonde comme modèle tout en suggérant de lui donner un visage, ce qu'il fit en mettant toutefois cinq ans pour le terminer.

Version moderne L'origine du Monde par Pal Breznay (2002-2007)
Ancien ambassadeur de l'Empire ottoman à Athènes et Saint-Pétersbourg avant de s'installer à Paris, Khalil Bey fut subjugué par le tableau de Courbet qui tenait vraisemblablement à le garder mais en cédant finalement à la demande du diplomate, l'artiste préféra le découper pour qu'on ne reconnaisse pas son modèle car il risquait d'être poursuivi en justice pour atteinte aux bonnes moeurs tout en exigeant alors de son acheteur de ne jamais révéler qu'il était l'auteur de ce bout de toile.
Khalil Bey se retrouva donc en possession du buste dénudé de Johanna Hiffernan avec ses cuisses entrouvertes tandis que Courbet garda pour lui la tête et d'autres fragments montrant les bras et probablement un perroquet voletant au-dessus de la main droite comme dans le fameux tableau "La femme au Perroquet" pour lequel Johanna avait également posé.
Ce fragment de 46 x 55 cm représentant ce corps alangui et ce sexe scandaleusement exposé, devint alors l'œuvre phare de la collection de tableaux érotiques de Khalil Bey parmi lesquels figuraient « Le Sommeil » (connu aussi sous le nom des Dormeuses)de cet artiste et « Le Bain Turc » de Jean-Dominique Ingres.
Ruiné par des dettes de jeu, Khalil Bey fut forcé de se séparer en 1868 de sa collection et notamment de « L'Origine du Monde » qui devint un temps la propriété de l'antiquaire de la Narde avant de parvenir dans les mains du galeriste Alexandre Bernheim qui le céda au baron François de Hatvany en 1913. Ce dernier l'emporta avec lui à Budapest où il le conserva jusqu'à la Seconde Guerre. L'oeuvre échappa au pillage des nazis mais pas à celui des soldats de l'Armée rouge mais par bonheur, le baron parvint à le récupérer en soudoyant un officier soviétique.
Le tableau était alors encore caché par une autre peinture de Courbet, "Le Château de Blonay" qui fut plus tard détachée du cadre commun et acquise par le musée des Beaux-Arts de Budapest. Le dernier propriétaire de « L'Origine du Monde » fut Jacques Lacan qui l'acheta en 1955 avec l'actrice Sylvia Bataille et le mit dans sa maison de campagne de Guitrancourt dans les Yvelines. Le cache original ayant disparu, le psychanalyste demanda à André Masson, son beau-frère, de construire un cadre à double fond et de peindre sur le cache coulissant une autre œuvre. Masson peignit alors une version surréaliste et très suggestive de "L'Origine du monde", intitulée « Terre érotique »,.
Ce ne fut qu'en 1988 que le tableau de Courbet fut exposé une première fois à New York au Brooklyn Museum puis lors d'une exposition consacrée à Masson en 1992 à Ornans, la ville de Courbet.
Après la mort de Lacan en 1981, puis de Sylvia Bataille-Lacan en 1993, le ministère de l'Économie et des Finances accepta en 1995 que les droits de succession de la famille fussent réglés par dation de l'œuvre au profit du musée d'Orsay.
« L'Origine du monde » est depuis devenu des plus célèbres tableaux de l'histoire de l'art. Mais comme l'a révélé « Paris-Match », ce sexe de femme qui a longtemps fait scandale, n'était pas complet ainsi que l'a démontré l'incroyable découverte faite par un amateur d'art plus qu'avisé.
Après avoir acquis le fragment montrant ce visage de femme alanguie, ce dernier avait remarqué que la toile non signée semblait avoir été découpée, ce qui l'avait amené à consulter des spécialistes de la peinture du XIXe siècle et de faire d'intenses recherches dans des bibliothèques jusqu'au moment où surfant sur Internet en avril 2012, il tomba sur « L'origine du Monde » dont les tonalités étaient étonnamment similaires à celles de son portrait qui portait au dos la marque de la maison Deforge-Carpentier spécialisée dans la fourniture de couleurs et de toiles jusqu'en 1869.
Deux mois plus tard, en découvrant à la bibliothèque du Louvre une reproduction de « La Femme au Perroquet » de Courbet, il devint persuadé que son portrait mesurant 41 x 33 cm était probablement celui de Joanna Hiffernan, une opinion consolidée par la découverte de la une du journal satirique "Le Hanneton" du 13 juin 1867 montrant Courbet entouré de plusieurs de ses tableaux connus avec au-dessus de sa tête l'esquisse d'une femme à la chevelure abondante, la main droite tendue vers un perroquet, en fait l'étude de "L'origine du Monde".
Fort de cette constatation plus que surprenante, notre homme contacta Jean-Jacques Fernier, expert de l'Institut Gustave-Courbet qui se montra d'abord réservé en lui répondant qu'il ne pouvait se baser simplement sur des hypothèses. Le tableau fut alors soumis pour analyse au Centre d'analyses et de recherche en art et archéologie (CARAA) qui se borna à confirmer que les pigments de la toile correspondaient à, ceux utilisés durant la seconde moitié du XIXe siècle un verdict sans grande portée qui conduisit cependant Jean-Jacques Fernier à lever ses doutes et à décider d'inclure cette étonnante découverte dans le tome III de son catalogue raisonné de l'œuvre de Courbet en cours de préparation.
Maintenant, il semblerait qu'à l'origine, le tableau mesurait jusqu'à 120 x 100 cm avant d'être découpé en plusieurs morceaux selon la volonté de Courbet, une initiative qui modifia complètement le propos initial de ce dernier. Reste à savoir ce que seraient devenus les autres fragments peut-être été détruits lors du pillage de l'atelier du peintre par les troupes prussiennes en 1871 ou simplement éparpillés dans la nature.
En attendant, la valeur du portrait de Jo découvert il y a trois ans pourrait avoisiner 40 millions d'euros, une somme astronomique quand on songe que sa place ne pourrait être qu'au Musée d'Orsay pour accompagner ce chef d'œuvre dont le sexe de femme montré en gros plan est toujours considéré comme sacrément pornographique au point d'être censuré sur plusieurs réseaux sociaux d'Internet, notamment Facebook. Reste à savoir si cette découverte sera acceptée officiellement, ce qui est une autre histoire.
Adrian Darmon