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Picasso était petit par la taille mais d'une énorme stature en tant qu'artiste
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Marché
Le Cézanne du Marché Dauphine
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Cet article se compose de 2 pages.
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Vivre comme réfugié dans un pays étranger n'est jamais facile lorsqu'on maîtrise mal la langue des autochtones et qu'on ne peut y exercer facilement son métier.Reza Amoor, l'artiste peintre d'Azerbaïdjan émigré en France depuis le milieu des années 1970, a eu du mal à vivre de sa peinture malgré quelques expositions prometteuses mais la peinture iranienne n'est pas vraiment la tasse de thé des Parisiens.Il a bien fallu arrondir les fins de mois pour nourrir sa petite famille et au contact de la communauté iranienne immigrée, il a vite compris qu'il y avait de l'argent à faire dans la vente de tapis et d'antiquités. Il s'est donc mis à chiner chez les brocanteurs et au marché aux Puces de St Ouen et avec sa bouille sympathique, il a pu se faire confier des tableaux et des objets qu'il a revendus chaque fois avec un petit bénéfice.Certes, les débuts n'ont pas toujours été faciles et il lui est arrivé de dénicher des tableaux intéressants dont il s'est séparé à vil prix comme ces toiles du peintre berlinois Lesser Ury bradées à trois mille francs pièces avant qu'il ne se rende compte qu'elles valaient trente fois plus. Heureusement, il a pu revendre les deux dernières oeuvres de Ury en sa possession à des prix plus conséquents et puis, un jour, il s'est mis à pasticher des pointillistes français du début du siècle. Il faut dire que ses copies, très réussies, ont facilement trouvé preneur bien et à la longue son négoce a fini par l'aider à connaître une certaine aisance.Sans jamais abandonner son métier, peignant chaque années une dizaine de toiles, Amoor est devenu un personnage connu parmi les marchands du marché aux Puces mais un mal terrible, le démon du jeu, l'a poussé plus d'une fois aux portes de la ruine.Les gains du Keno ou du casino ont souvent fondu dans sa main l'obligeant à se transformer en marathonien de la brocante, courant de boutique en boutique, de stand en stand à la recherche du tableau de maître.Peindre des copies était tout juste bon à lui permettre de survivre et le risque d'être poursuivi pour malfaçon a de plus en plus fini par lui pendre au nez. D'ailleurs, deux chaudes alertes provoquées par la vente de faux tableaux ont suffi pour freiner ses ardeurs de faussaire. Il fallait un miracle, comme miser 100 francs sur un numéro, quitter la table de jeu cinq minutes et revenir pour constater que celui-ci était sorti cinq fois de suite. Un rêve ! Mais cela confine vraiment à l'utopie.
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Vivre comme réfugié dans un pays étranger n'est jamais facile lorsqu'on maîtrise mal la langue des autochtones et qu'on ne peut y exercer facilement son métier.Reza Amoor, l'artiste peintre d'Azerbaïdjan émigré en France depuis le milieu des années 1970, a eu du mal à vivre de sa peinture malgré quelques expositions prometteuses mais la peinture iranienne n'est pas vraiment la tasse de thé des Parisiens.Il a bien fallu arrondir les fins de mois pour nourrir sa petite famille et au contact de la communauté iranienne immigrée, il a vite compris qu'il y avait de l'argent à faire dans la vente de tapis et d'antiquités. Il s'est donc mis à chiner chez les brocanteurs et au marché aux Puces de St Ouen et avec sa bouille sympathique, il a pu se faire confier des tableaux et des objets qu'il a revendus chaque fois avec un petit bénéfice.Certes, les débuts n'ont pas toujours été faciles et il lui est arrivé de dénicher des tableaux intéressants dont il s'est séparé à vil prix comme ces toiles du peintre berlinois Lesser Ury bradées à trois mille francs pièces avant qu'il ne se rende compte qu'elles valaient trente fois plus. Heureusement, il a pu revendre les deux dernières oeuvres de Ury en sa possession à des prix plus conséquents et puis, un jour, il s'est mis à pasticher des pointillistes français du début du siècle. Il faut dire que ses copies, très réussies, ont facilement trouvé preneur bien et à la longue son négoce a fini par l'aider à connaître une certaine aisance.Sans jamais abandonner son métier, peignant chaque années une dizaine de toiles, Amoor est devenu un personnage connu parmi les marchands du marché aux Puces mais un mal terrible, le démon du jeu, l'a poussé plus d'une fois aux portes de la ruine.Les gains du Keno ou du casino ont souvent fondu dans sa main l'obligeant à se transformer en marathonien de la brocante, courant de boutique en boutique, de stand en stand à la recherche du tableau de maître.Peindre des copies était tout juste bon à lui permettre de survivre et le risque d'être poursuivi pour malfaçon a de plus en plus fini par lui pendre au nez. D'ailleurs, deux chaudes alertes provoquées par la vente de faux tableaux ont suffi pour freiner ses ardeurs de faussaire. Il fallait un miracle, comme miser 100 francs sur un numéro, quitter la table de jeu cinq minutes et revenir pour constater que celui-ci était sorti cinq fois de suite. Un rêve ! Mais cela confine vraiment à l'utopie.
Un beau jour de mars 1995, Amoor est parti chiner aux Puces et son cœur s'est mis à battre brutalement devant un tableau non signé exposé contre un mur d'un stand du marché Dauphine tenu par une marchande qu'il connaît bien.L'œil de l'artiste a immédiatement décelé dans ce tableau assurément impressionniste la patte d'un maître mais la marchande a dû avoir la tête ailleurs en y collant au dos une étiquette marquée « 3000 francs ». Un véritable Azéri est celui qui sait marchander tout ce qu'il achète et Amoor n'a pas manqué de faire baisser le prix de ce tableau qu'il trouve intéressant tout en déclarant à la marchande que c'est dommage de voir une faiblesse à gauche, des usures de ci de là et un manque de personnages dans le paysage.Bref, l'achat s'est conclu à 1500 francs et une fois rentré chez lui, Amoor s'est lancé immédiatement dans un travail de fourmi pour acquérir la certitude qu'il avait bien en face de lui l'œuvre d'un grand maître.« C'est du Cézanne tout craché ! », s'est-il exclamé en constatant déjà avec délectation que la toile était assez vieille pour être vraiment du XIXe siècle. Chaque jour, il a hanté les bibliothèques des musées Pompidou et des Arts Décoratifs à la recherche d'éléments qui pouvaient conforter sa conviction. John Rewald, l'expert de Cézanne, ayant disparu, il s' est mis en quête d'entrer en contact avec le successeur de ce dernier une fois en possession de ces précieux éléments.Sûr de son fait, Amoor a présenté le tableau avec son dossier et le verdict est rapidement tombé. Il s'agissait bien d'un paysage de la période impressionniste du grand Cézanne, une toile jamais répertoriée jusqu'alors. Ivre de joie une fois cette authentification obtenue, Amoor s'est mis à danser comme les hommes des tribus des montagnes de l'Azerbaïdjan. Lui, le réfugié, le gentil métèque ou le vendeur de croûtes comme le surnommaient, c'est selon, certains brocanteurs venait de faire le gros coup !Et lorsqu'il s'est vu offrir la somme faramineuse de quatre millions de francs, il n'a pas hésité une seconde lâchant son tableau contre ce beau pactole enfin heureux d'être riche lui l'étranger à l'accent iranien si prononcé qui fait tant sourire les véritables professionnels.Mais l'argent brûle les doigts d'un joueur invétéré. Du jour au lendemain, Amoor a eu des rêves de grandeur. Adieu les kilomètres à pied à quadriller Paris et ses environs. Bonjour l'aisance ! L'argent si vite gagné a servi à l'achat d'une grande galerie dans la banlieue de Paris et notre artiste s'est mis à vouloir jouer dans la cour des marchands d'art contemporain organisant exposition sur exposition pour des poulains sans envergure. Au bout de deux années, Amoor a fini par se retrouver pratiquement à la case départ avec une grande galerie qui coûte cher et l'argent du Cézanne envolé. Finalement, il a vécu un rêve plutôt impressionniste ébloui par la couleur de l'argent, aveuglé par son envie d'être au niveau des grands marchands.Au seuil de la faillite, il s'est remis à peindre , des compositions qui lui sont propres, et, péché mignon, de nouveaux pastiches qui risquent de lui causer des petits ennuis. Amoor aurait dû lire la fable de la grenouille qui voulait se prendre pour un bœuf. Maintenant, il ne lui reste plus qu'à trouver un nouveau trésor et avec sa veine, pourquoi pas ?Adrian Darmon
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