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Diffamer, c'est risquer en retour de boire le calice jusqu'à l'hallali
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
XIIème Chapitre
La fin d'une époque
01 Octobre 2001 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Jeudi 25 octobre, la sonnerie de mon portable retentit alors que je déjeune avec un correspondant polonais. Un expert m'appelle pour m'informer que Daniel Wildenstein est mort il y a moins de 48 heures et ne manque pas de m'inviter gentiment à balancer rapidement cette information sur mon site Internet. Je savais que le célèbre marchand n'était pas au mieux et qu'il devait subir une intervention chirurgicale mais, hésitant encore à croire qu'il n'est plus de ce monde, je me dis alors qu'il serait opportun d'appeler «Le Dinosaure» pour avoir la confirmation de cette surprenante nouvelle. Justement, ce dernier vient de quitter le cimetière Montparnasse où Wildenstein a été enterré dans le caveau familial et m'annonce qu'il va acheter des fleurs, un geste plutôt inutile qui démontre que ce paysan ignore les coutumes funéraires de la religion juive. 24 heures plus tard à St Ouen, j'ai l'occasion de me rendre compte que ceux qui regrettent la disparition de Wildenstein forment une minorité par rapport à ces dizaines de rêveurs qui, après lui avoir soumis des œuvres à expertiser, sont restés assommés par les opinions négatives formulées par cette figure légendaire du marché de l'art. A l'évocation du nom de Wildenstein, un marchand de Saint Ouen qui lui avait vendu il y a de cela plus de dix ans une huile de Manet représentant une nymphe dans un paysage, me dit avec compassion qu'il avait gardé le souvenir d'un homme charmant. « Il paraissait si petit qu'il ressemblait à un jeune communiant dans son joli costume taillé sur mesure. Il m'avait reçu dans son bureau dont les murs étaient décorés de tableaux de Fragonard et m'avait demandé combien je désirais pour cette œuvre de jeunesse de Manet que j'avais achetée pour 1302 FF avec les frais dans une vente à Versailles l'année précédente. Je lui avais annoncé que j'en espérais 1,5 million FF et il n'avait pas discuté le prix car il croyait que j'allais lui en demander plus », me raconte le marchand en me montrant la photo de son tableau qu'il a pieusement conservée sur lui. Je croise ensuite Chester Fielx, qui, il y a quelques mois, a cédé pour 2,5 millions FF au «gentleman» Daniel le petit autoportrait de Corot chiné auparavant dans un marché aux Puces. Il m'avoue alors qu'il a eu vraiment de la chance de lui vendre sa trouvaille à temps. « A quelques mois près, c'était foutu pour moi », me souffle-t-il d'un air soulagé en ajoutant qu'avec la mort de Wildenstein, une époque vient de prendre fin. «Il n'y avait que lui pour demander subitement le prix d'une œuvre qu'on lui soumettait dès lors qu'elle lui semblait authentique et une fois qu'on tombait d'accord, tout était réglé comme du papier à musique pour le paiement. Maintenant, il y a fort à parier que ses fils feront preuve de moins d'audace dans leur façon de procéder», souligne Chester. « Ben Claude », qui avait eu le bonheur d'obtenir de Wildenstein un certificat pour un paysage norvégien de Monet acquis pour 754 FF à Drouot, me tape sur l'épaule alors que je déambule dans une allée du marché Paul Bert. «Si je trouvais un autre Monet, qui pourrait alors me l'authentifier ?», me demande-t-il d'un ton inquiet. Je lui réponds que sa question paraît superflue puisqu'il n'a plus rien trouvé de palpitant depuis son coup de 1995 mais que si la chance était à nouveau au rendez-vous, il aurait plutôt intérêt à mettre la main sur une œuvre qui ne serait pas de Monet ni de Manet pour conserver un peu plus ses illusions.
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Jeudi 25 octobre, la sonnerie de mon portable retentit alors que je déjeune avec un correspondant polonais. Un expert m'appelle pour m'informer que Daniel Wildenstein est mort il y a moins de 48 heures et ne manque pas de m'inviter gentiment à balancer rapidement cette information sur mon site Internet. Je savais que le célèbre marchand n'était pas au mieux et qu'il devait subir une intervention chirurgicale mais, hésitant encore à croire qu'il n'est plus de ce monde, je me dis alors qu'il serait opportun d'appeler «Le Dinosaure» pour avoir la confirmation de cette surprenante nouvelle. Justement, ce dernier vient de quitter le cimetière Montparnasse où Wildenstein a été enterré dans le caveau familial et m'annonce qu'il va acheter des fleurs, un geste plutôt inutile qui démontre que ce paysan ignore les coutumes funéraires de la religion juive. 24 heures plus tard à St Ouen, j'ai l'occasion de me rendre compte que ceux qui regrettent la disparition de Wildenstein forment une minorité par rapport à ces dizaines de rêveurs qui, après lui avoir soumis des œuvres à expertiser, sont restés assommés par les opinions négatives formulées par cette figure légendaire du marché de l'art. A l'évocation du nom de Wildenstein, un marchand de Saint Ouen qui lui avait vendu il y a de cela plus de dix ans une huile de Manet représentant une nymphe dans un paysage, me dit avec compassion qu'il avait gardé le souvenir d'un homme charmant. « Il paraissait si petit qu'il ressemblait à un jeune communiant dans son joli costume taillé sur mesure. Il m'avait reçu dans son bureau dont les murs étaient décorés de tableaux de Fragonard et m'avait demandé combien je désirais pour cette œuvre de jeunesse de Manet que j'avais achetée pour 1302 FF avec les frais dans une vente à Versailles l'année précédente. Je lui avais annoncé que j'en espérais 1,5 million FF et il n'avait pas discuté le prix car il croyait que j'allais lui en demander plus », me raconte le marchand en me montrant la photo de son tableau qu'il a pieusement conservée sur lui. Je croise ensuite Chester Fielx, qui, il y a quelques mois, a cédé pour 2,5 millions FF au «gentleman» Daniel le petit autoportrait de Corot chiné auparavant dans un marché aux Puces. Il m'avoue alors qu'il a eu vraiment de la chance de lui vendre sa trouvaille à temps. « A quelques mois près, c'était foutu pour moi », me souffle-t-il d'un air soulagé en ajoutant qu'avec la mort de Wildenstein, une époque vient de prendre fin. «Il n'y avait que lui pour demander subitement le prix d'une œuvre qu'on lui soumettait dès lors qu'elle lui semblait authentique et une fois qu'on tombait d'accord, tout était réglé comme du papier à musique pour le paiement. Maintenant, il y a fort à parier que ses fils feront preuve de moins d'audace dans leur façon de procéder», souligne Chester. « Ben Claude », qui avait eu le bonheur d'obtenir de Wildenstein un certificat pour un paysage norvégien de Monet acquis pour 754 FF à Drouot, me tape sur l'épaule alors que je déambule dans une allée du marché Paul Bert. «Si je trouvais un autre Monet, qui pourrait alors me l'authentifier ?», me demande-t-il d'un ton inquiet. Je lui réponds que sa question paraît superflue puisqu'il n'a plus rien trouvé de palpitant depuis son coup de 1995 mais que si la chance était à nouveau au rendez-vous, il aurait plutôt intérêt à mettre la main sur une œuvre qui ne serait pas de Monet ni de Manet pour conserver un peu plus ses illusions.
Encensé par ceux qui ont pu tirer profit de ses opinions, Wildenstein demeure cependant honni par d'autres qui sont à jamais persuadés d'avoir perdu des millions par sa faute. C'est le cas de Michael « Le puits de science » rencontré dans une allée du marché Jules Vallès qui me raconte qu'en l'espace de quelques mois, Wildenstein lui avait refusé une huile et deux dessins de Manet et ce, en moins de cinq minutes montre en main. «Concernant le portrait à l'huile de Zola signé E.M, Wildenstein ne voyait pas la main-c'était son mot- de Manet et ce, malgré des indices qui paraissaient probants aux yeux d'autres spécialistes. Pour les deux dessins, il avait été encore plus expéditif dans son jugement alors que plus d'un expert m'avait dit être persuadé de leur authenticité », me déclare Michael d'un air contrit. Et de poursuivre en me signalant qu'il y a une douzaine d'années, Wildenstein avait voulu lui acheter une aquarelle de Manet mais au moment de conclure la transaction, il s'était rétracté après avoir découvert à retardement qu'il avait un jour classé cette œuvre comme fausse. L'année suivante, il lui avait offert une somme ridicule pour une huile de Gauguin mais, face à son refus de la lui vendre à ce prix-là, ce cher Daniel avait alors décrété qu'il ne s'agissait plus que d'une croûte réalisée par un obscur suiveur. Critiquant la mainmise de Wildenstein sur de nombreux peintres, trois autres marchands des Puces me déballent des histoires similaires quelques minutes plus tard tout en espérant que les cartes seront maintenant mieux redistribuées concernant les expertises de tableaux. Ils peuvent toujours rêver car les choses ne changeront pas de sitôt sur le marché de l'art. Au café, la lecture du Figaro me fait sursauter. Voilà qu'un couple de militants, amis de Jean-Marie Le Pen et collectionneurs passionnés du premier Empire, vient d'offrir au président du Front National une collection de 19 lettres signées Bonaparte ou Napoléon et de 71 autres, la plupart adressées à l'empereur par des membres de sa famille et des maréchaux. Après avoir notamment été le bénéficiaire d'une partie de la fortune de l'héritier des ciments Lambert, M. Le Pen semble décidément posséder le don de recevoir des dons, à croire que pour voir la chance lui sourire plus d'une fois, il se soit abonné aux croisières sur le Don. Finalement, le boulot de chef d'un parti politique peut être très enrichissant à plus d'un égard. Vers 19 heures, J.R me contacte pour me montrer des dessins anciens. Je lui fixe rendez-vous près de la place des Ternes tout en pestant à l'idée de perdre mon temps, car je suis sûr qu'il va encore me soumettre des trucs nuls. Après avoir poireauté une demi-heure dans un café, je vois enfin J.R arriver nonchalamment avec une chemise cartonnée sous le bras et l'exhorte alors à se dépêcher. Il me sort alors deux dessins infâmes à la sanguine qui me font rager à l'idée de l'avoir attendu pour rien. Comme à l'accoutumée, il se met à protester et cherche à me démontrer qu'il a chiné de vrais chefs d'œuvre, à croire que sa vue déconne certains jours. « Dommage, Wildenstein vous les aurait peut-être pris, mais il vient de nous quitter pour l'éternité », lui dis-je histoire de me foutre de lui. «Wildenstein est mort ? Non… Vous blaguez ? Merde ! Je devais lui soumettre des meules de Monet », dit-il d'un air contrarié. - Un Monet représentant des meules ? Où avez-vous donc trouvé cette merveille ? - En province… Chez un particulier… J.R reste évasif mais comme le temps presse, je n'ai ce soir nulle envie de le pousser dans ses retranchements d'autant plus que je n'ai rien à cirer de son Monet qui au passage sera maintenant plus difficile à faire authentifier maintenant que Wildenstein n'est plus. Samedi 27 octobre, pluie torrentielle sur le marché de Vanves où deux brocanteurs s'excitent pour une place de déballage au point de se frictionner sous des trombes d'eau. Il ne manque plus que du savon pour laver leur linge sale en public. Cet intermède finit par tourner court, tout comme ma promenade puisqu'il n'y a rien à chiner de valable sinon peut-être un parapluie et des bottes en caoutchouc.
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