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La SNCF, c'est s'offrir parfois un film d'horaires (AD)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Xème Chapitre
CALVAIRE POUR UN CALDER
01 Août 2001 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Dimanche 19 août, promenade à huit heures au marché de Vanves plus qu'à moitié vide à huit heures du matin. Rien à chiner dans les environs alors que la pluie se met à tomber en rafales. Quelques minutes plus tard, rencontre avec un marchand membre du Club des Rêveurs anonymes de Drouot (Crad) qui m'apprend qu'un chineur éprouve actuellement les pires difficultés à faire reconnaître une sculpture de l'artiste américain Alexander Calder. Cette œuvre datant de 1932 a été trouvée près de Tours où Calder avait travaillé dans un atelier troglodyte au bord de la Loire. Le comité Calder a émis un avis favorable pour cette sculpture mais le petit-fils de l'artiste a exigé de connaître sa provenance. Le fait qu'elle ait été trouvée près de Tours ne signifie pas grand-chose aux yeux de cet ayant-droit qui n'a probablement pas connu son grand-père et encore moins fréquenté son atelier du temps de son vivant. Les ayants-droits sont pour la plupart des emmerdeurs et pire, des incompétents qui abusent de leurs pouvoirs en profitant de lois trop généreuses et mal ficelées puisqu'ils se substituent à des spécialistes qui d'habitude en savent plus qu'eux sur la production des artistes auxquels ils sont apparentés. Parlons-en des provenances ! Dans les mains d'un grand collectionneur, cette sculpture aurait été reconnue comme authentique pratiquement à coup sûr. Trouvée dans une foire à la brocante, dans une cave ou dans une poubelle, elle serait certainement considérée comme fausse. Là où le bât blesse, c'est que la provenance a souvent plus d'importance que l'objet lui-même. Or, il ne faut pas oublier qu'une origine peut se fabriquer sans trop de difficulté. Il y a donc vraiment de quoi rigoler à l'idée que de nombreux faux affublés de pedigrees avantageux ont pu ainsi être reconnus comme authentiques par des experts gagnés par la paranoïa de la provenance… En attendant, il aussi difficile de faire authentifier une œuvre de Calder que celle d'un Picasso et je me dois de signaler que le chineur de cette sculpture a commis un impair en la circonstance, c'est à dire qu'il aurait dû au préalable se renseigner au sujet du comité en question afin de mettre tous les atouts de son côté pour la faire authentifier. Trouver cette sculpture n'était qu'une étape. La suivante consistait à concrétiser cette trouvaille en se bordant au niveau de sa provenance, quitte à la fabriquer puisque le petit-fils de Calder voudrait qu'elle soit incontournable. Une telle attitude représente en fait une invitation inconsciente à fournir un faux témoignage quant à l'origine de cette pièce qui a pourtant tout pour être incontestable et c'est là bien ennuyeux puisqu'il existe au bout du compte une sorte de tricherie des deux côtés. La provenance ne devrait être qu'un bonus mais l'entêtement de certains experts et ayants-droit à en faire une priorité nuit terriblement à l'authentification d'un objet dans ce qu'il a d'intrinsèque et lorsqu'il y a plagiat, celui-ci ne saute plus aux yeux lorsqu'un pedigree astucieusement inventé l'accompagne surtout si la personne qui se permet de mentir en confirmant cette origine est au-dessus de tout soupçon. Il y a de quoi frémir lorsqu'on pense qu'en échange d'une substantielle commission, il suffit d'avoir recours aux services d'une personne habituée à fréquenter des experts qui se portera garante de la provenance d'un tableau ou d'une sculpture afin d'obtenir un certificat d'authenticité pour l'œuvre qu'elle aura ainsi présentée. C'est tout bête mais c'est souvent ainsi.
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Dimanche 19 août, promenade à huit heures au marché de Vanves plus qu'à moitié vide à huit heures du matin. Rien à chiner dans les environs alors que la pluie se met à tomber en rafales. Quelques minutes plus tard, rencontre avec un marchand membre du Club des Rêveurs anonymes de Drouot (Crad) qui m'apprend qu'un chineur éprouve actuellement les pires difficultés à faire reconnaître une sculpture de l'artiste américain Alexander Calder. Cette œuvre datant de 1932 a été trouvée près de Tours où Calder avait travaillé dans un atelier troglodyte au bord de la Loire. Le comité Calder a émis un avis favorable pour cette sculpture mais le petit-fils de l'artiste a exigé de connaître sa provenance. Le fait qu'elle ait été trouvée près de Tours ne signifie pas grand-chose aux yeux de cet ayant-droit qui n'a probablement pas connu son grand-père et encore moins fréquenté son atelier du temps de son vivant. Les ayants-droits sont pour la plupart des emmerdeurs et pire, des incompétents qui abusent de leurs pouvoirs en profitant de lois trop généreuses et mal ficelées puisqu'ils se substituent à des spécialistes qui d'habitude en savent plus qu'eux sur la production des artistes auxquels ils sont apparentés. Parlons-en des provenances ! Dans les mains d'un grand collectionneur, cette sculpture aurait été reconnue comme authentique pratiquement à coup sûr. Trouvée dans une foire à la brocante, dans une cave ou dans une poubelle, elle serait certainement considérée comme fausse. Là où le bât blesse, c'est que la provenance a souvent plus d'importance que l'objet lui-même. Or, il ne faut pas oublier qu'une origine peut se fabriquer sans trop de difficulté. Il y a donc vraiment de quoi rigoler à l'idée que de nombreux faux affublés de pedigrees avantageux ont pu ainsi être reconnus comme authentiques par des experts gagnés par la paranoïa de la provenance… En attendant, il aussi difficile de faire authentifier une œuvre de Calder que celle d'un Picasso et je me dois de signaler que le chineur de cette sculpture a commis un impair en la circonstance, c'est à dire qu'il aurait dû au préalable se renseigner au sujet du comité en question afin de mettre tous les atouts de son côté pour la faire authentifier. Trouver cette sculpture n'était qu'une étape. La suivante consistait à concrétiser cette trouvaille en se bordant au niveau de sa provenance, quitte à la fabriquer puisque le petit-fils de Calder voudrait qu'elle soit incontournable. Une telle attitude représente en fait une invitation inconsciente à fournir un faux témoignage quant à l'origine de cette pièce qui a pourtant tout pour être incontestable et c'est là bien ennuyeux puisqu'il existe au bout du compte une sorte de tricherie des deux côtés. La provenance ne devrait être qu'un bonus mais l'entêtement de certains experts et ayants-droit à en faire une priorité nuit terriblement à l'authentification d'un objet dans ce qu'il a d'intrinsèque et lorsqu'il y a plagiat, celui-ci ne saute plus aux yeux lorsqu'un pedigree astucieusement inventé l'accompagne surtout si la personne qui se permet de mentir en confirmant cette origine est au-dessus de tout soupçon. Il y a de quoi frémir lorsqu'on pense qu'en échange d'une substantielle commission, il suffit d'avoir recours aux services d'une personne habituée à fréquenter des experts qui se portera garante de la provenance d'un tableau ou d'une sculpture afin d'obtenir un certificat d'authenticité pour l'œuvre qu'elle aura ainsi présentée. C'est tout bête mais c'est souvent ainsi.
Le marchand me parle ensuite d'un autre membre du Crad qui a acheté des dessins de Dubuffet auprès d'un type qui déballe sans patente sur le marché de Vanves et ce, pour moins de mille francs l'unité. «Il y a de quoi se poser des questions au sujet de ce vendeur qui semble complètement inconscient. Soit il n'a pas idée de la valeur de ces dessins qui vaudraient plus de 150 000 francs pièce, soit ils sont volés ou tout simplement faux et là, cet huluberlu risque gros », me déclare le marchand qui me signale que l'acheteur est pour l'instant sur un nuage avec ses Dubuffet. «Personnellement, je pense que ces dessins sont bidons mais le propre, ou plutôt le défaut, de tout chineur est de rêver. On ne gagne pas à tous les coups et si d'aventure ces Dubuffet sont reconnus bons il n'y aura plus qu'à dire bonjour la bavure», ajoute-t-il en se marrant. Durant l'après-midi, je croise Richard Rodriguez au marché de Saint-Ouen. Le découvreur de Basquiat me demande si j'ai bien reçu sa dernière diatribe contre ces «marketing men» qui font exploser les cotes d'artistes contemporains comme Jeff Koons ou Maurizio Cattelan à la manière des golden boys qui ont fait déraper les valeurs du Nasdaq en faisant valser des millions placés sur tant de start-ups qui n'étaient que des pièges à cons. J'acquiesce tout en me permettant de lui signaler qu'il devient de plus en plus agressif dans ses écrits et que sa plume un peu trop trempée dans le vitriol est plutôt de nature à lui attirer des ennuis. «Je m'en fous. Je ne dis que la vérité, à savoir que ces gens qui font passer la cote d'un artiste de 50 000 à un million de dollars en un rien de temps sont coupables d'une escroquerie. Ils méritent tout simplement d'être poursuivis par ceux qu'ils ont grugés», me dit-il d'un ton péremptoire. Il n'a pas tort mais je lui suggère de pourfendre ces faiseurs de cotes excessives avec plus de finesse afin que ceux-ci ne trouvent pas d'arguments susceptibles de le faire passer pour un doux dingue.
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