Jeudi 8 mars, déballage à la Foire de Chatou. Il pleut des cordes alors que la veille il faisait un soleil de mois de mai. L'endroit est devenu un cloaque sous des trombes d'eau et chiner avec un parapluie à la main n'est guère amusant.
A part une dizaine de pièces vues ça et là mais étiquetées à des prix démentiels, il n'y a rien de valable et je n'ai plus qu'à abandonner la partie après avoir pataugé durant deux heures dans de véritables mares d'eau. Vendredi, visite habituelle aux Puces où l'absence des frères Bailly se fait remarquer. Là encore, il n'y a pas grand chose à découvrir à part une gouache des années 1920 de Jean Crotti et un dessin de Picabia datant du début de sa carrière. Les gros coups seront pour un autre jour...
Rencontre avec un marchand installé aux Puces depuis une trentaine d'années. Celui-ci est de bonne humeur malgré la morosité ambiante et me dit qu'il est heureux de vivre en France en voyant chaque soir à la télé ce qui se passe ailleurs. Ce matin, il est terriblement "vendeur" et pour cause, il vient de faire une adresse d'où il a sorti une oeuvre du peintre allemand Max Liebermann et un tableau de Maurice Denis pour une poignée de cerises.
"Le tableau de Liebermann est extraordinaire. Il s'agit d'une scène représentant un orchestre que j'ai confiée à la vente à Drouot et je pense que ça va faire des sous", me dit-il fier de lui.
Je constate une nouvelle fois que des ignares se sont séparés d'oeuvres importantes en les cédant à des prix ridicules à un petit malin qui va s'en mettre plein les poches. J'admets cependant que les particuliers qui ne connaissent pas la valeur de biens hérités sont devenus moins nombreux au fil du temps pour la bonne raison que des centaines d'ouvrages sur l'art ont été publiés depuis ces vingt dernières années et que la presse couvre enfin les ventes aux enchères de manière substantielle, ce qui permet aux gens d'avoir une meilleure idée des prix qu'auparavant.
En attendant, ce marchand va se "goinfrer" d'un petit million de francs et peut-être plus avec deux tableaux qu'il aura acquis pour moins de trois mille francs. Jolie opération. A Paul-Bert, un autre marchand m'informe qu'il vient de vendre chez Sotheby's et Christie's trois tableaux anciens pour plus de 1,5 millions de francs après avoir refusé de les vendre à la main pour moins de 500 000 FF.
"J'ai fini par comprendre qu'il valait mieux passer par les salles de vente lorsque je dénichais de belles pièces au lieu de les vendre à des confrères qui ne cherchent qu'à réaliser de gros bénéfices sur mon dos. Et puis, il y a souvent de bonnes surprises dans les ventes", me dit-il d'un air entendu.
Voilà encore pourquoi on trouve moins de trésors aux Puces surtout lorsque les marchands qui les découvrent ont une idée de leur véritable valeur. Ceux-ci n'ont donc plus l'esprit aussi masochiste que par le passé lorsqu'ils venaient candidement déballer des pièces excitantes le vendredi matin maintenant que la lecture des résultats de ventes publiés par la Gazette de l'Hôtel Drouot est devenue maintenant un must chaque semaine. Les temps changent...