| | Citation |
| | |
|
Mettre de l'eau dans son vin, c'est s'éviter de boire le calice jusqu'a la lie
|
|
|
|
Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IVème Chapitre
MONET DE SINGE ?
01 Novembre 2000 |
Cet article se compose de 3 pages.
1
2
3
|
Lundi 4 décembre, je reçois des Grecs qui m'ont contacté via Internet pour faire authentifier un Monet et un Modigliani. Apparemment, ces Messieurs sont persuadés de posséder des billets de loto gagnants avant même de voir leurs œuvres passer sous les fourches caudines de l'expert, en l'occurrence Daniel Wildenstein lequel a la main mise sur les catalogues raisonnés de ces deux artistes. Ils peuvent bien rêver en attendant. Ils me montrent la photo du tableau de Monet représentant des voiliers à Argenteuil. De toute évidence, il semble s'agir d'une pièce maîtresse mais sans avoir l'œuvre sous la main, il m'est impossible de déterminer si elle semble authentique ou s'il s'agit d'une copie ou encore d'une reproduction. Mes visiteurs m'annoncent alors qu'ils peuvent, si besoin est, ramener le tableau à Paris. D'ailleurs, ils n'ont que cela à faire s'ils désirent savoir si leur tableau est bon ou non. On en vient au Modigliani, que l'un d'eux me sort d'une boite créée spécialement pour l'abriter et le protéger. Il s'agit d'un portrait d'homme qui pourrait avoir été peint vers 1910 mais certains détails, notamment le dessin des yeux et de lourds empâtements dans le fond me laissent plutôt perplexe. Celui qui se présente comme le propriétaire de ce tableau et m'indique vivre à Paris, me raconte qu'il a été trouvé dans le tiroir d'une commode achetée durant les années 1970 par un type du centre de la France qui spéculait sur des meubles anciens en les remisant dans un hangar et ce, dans l'attente de voir leur prix grimper au fil des ans. L'oncle de ce dernier s'était un jour mis en tête de trouver une commode pour sa maison et avait ainsi été farfouiller dans l'entrepôt. Ce fut ainsi qu'il découvrit le tableau soigneusement emballé dans de vieux journaux. Mon interlocuteur me déclare que quelques années plus tard, un intermédiaire alla en Italie voir Patani, alors expert de l'œuvre de Modigliani. Ce dernier fut si séduit par la toile qu'il en offrit, prétend-il, 200 000 dollars mais le mandataire refusa sous le prétexte qu'il trouvait cette somme insuffisante. Patani fit, dit-il, des pieds et des mains durant deux jours pour obtenir ce tableau mais en vain, et pour se venger, déclara qu'il le classerait comme faux. J'écoute cette histoire d'un air détaché puis réponds que depuis des années, on a vu une pléiade d'experts pour Modigliani se succéder, notamment Pfannstiel, Ceroni, Patani ou Parisot jusqu'au jour où Marc Restellini a repris le catalogue raisonné en main sous la houlette de l'Institut Wildenstein. Maintenant, celui-ci s'est employé à faire le ménage et à réexaminer à la loupe l'ensemble de l'œuvre du grand peintre italien de Montparnasse. Le Grec m'annonce alors qu'un banquier suisse lui a fait une offre ferme de 950,000 dollars pour ce Modigliani et qu'il s'intéresse également au livre d'or du collectionneur Chlomovitch, assassiné par les nazis durant la guerre. «A ce prix-là, sans certificat, je vous invite à vendre ce tableau illico presto. Vous n'avez, je pense, à demander aucune aide de ma part», lui dis-je d'un ton narquois.
|
|
Lundi 4 décembre, je reçois des Grecs qui m'ont contacté via Internet pour faire authentifier un Monet et un Modigliani. Apparemment, ces Messieurs sont persuadés de posséder des billets de loto gagnants avant même de voir leurs œuvres passer sous les fourches caudines de l'expert, en l'occurrence Daniel Wildenstein lequel a la main mise sur les catalogues raisonnés de ces deux artistes. Ils peuvent bien rêver en attendant. Ils me montrent la photo du tableau de Monet représentant des voiliers à Argenteuil. De toute évidence, il semble s'agir d'une pièce maîtresse mais sans avoir l'œuvre sous la main, il m'est impossible de déterminer si elle semble authentique ou s'il s'agit d'une copie ou encore d'une reproduction. Mes visiteurs m'annoncent alors qu'ils peuvent, si besoin est, ramener le tableau à Paris. D'ailleurs, ils n'ont que cela à faire s'ils désirent savoir si leur tableau est bon ou non. On en vient au Modigliani, que l'un d'eux me sort d'une boite créée spécialement pour l'abriter et le protéger. Il s'agit d'un portrait d'homme qui pourrait avoir été peint vers 1910 mais certains détails, notamment le dessin des yeux et de lourds empâtements dans le fond me laissent plutôt perplexe. Celui qui se présente comme le propriétaire de ce tableau et m'indique vivre à Paris, me raconte qu'il a été trouvé dans le tiroir d'une commode achetée durant les années 1970 par un type du centre de la France qui spéculait sur des meubles anciens en les remisant dans un hangar et ce, dans l'attente de voir leur prix grimper au fil des ans. L'oncle de ce dernier s'était un jour mis en tête de trouver une commode pour sa maison et avait ainsi été farfouiller dans l'entrepôt. Ce fut ainsi qu'il découvrit le tableau soigneusement emballé dans de vieux journaux. Mon interlocuteur me déclare que quelques années plus tard, un intermédiaire alla en Italie voir Patani, alors expert de l'œuvre de Modigliani. Ce dernier fut si séduit par la toile qu'il en offrit, prétend-il, 200 000 dollars mais le mandataire refusa sous le prétexte qu'il trouvait cette somme insuffisante. Patani fit, dit-il, des pieds et des mains durant deux jours pour obtenir ce tableau mais en vain, et pour se venger, déclara qu'il le classerait comme faux. J'écoute cette histoire d'un air détaché puis réponds que depuis des années, on a vu une pléiade d'experts pour Modigliani se succéder, notamment Pfannstiel, Ceroni, Patani ou Parisot jusqu'au jour où Marc Restellini a repris le catalogue raisonné en main sous la houlette de l'Institut Wildenstein. Maintenant, celui-ci s'est employé à faire le ménage et à réexaminer à la loupe l'ensemble de l'œuvre du grand peintre italien de Montparnasse. Le Grec m'annonce alors qu'un banquier suisse lui a fait une offre ferme de 950,000 dollars pour ce Modigliani et qu'il s'intéresse également au livre d'or du collectionneur Chlomovitch, assassiné par les nazis durant la guerre. «A ce prix-là, sans certificat, je vous invite à vendre ce tableau illico presto. Vous n'avez, je pense, à demander aucune aide de ma part», lui dis-je d'un ton narquois.
Ou il me prend pour un imbécile ou alors il a affaire de son côté à un acheteur complètement dingue. Personnellement, j'ai vu des fous acheter des œuvres non authentifiées pour quelques dizaines de milliers de francs mais pour sept millions, jamais. Le Grec me jure la main sur le cœur que cette offre est sérieuse et que son acheteur doit se décider avant la fin de la semaine. Faut-il le croire ? - Si c'est le cas, pourquoi alors me demander de vous aider à obtenir un certificat pour ce tableau qui, s'il était authentique, ne vaudrait vraisemblablement pas plus de neuf millions ? - J'aurais pensé qu'il pouvait valoir au moins douze millions une fois authentifié. Je lui explique que j'ai les moyens de faire présenter son tableau par une personne que les experts n'ont pas l'habitude de considérer à la légère mais que toutefois cette dernière se permettra de prélever une substantielle commission en cas d'obtention d'un certificat. Cela ne prendra que deux ou trois jours si mon visiteur consent à me confier ce tableau et accepte les conditions posées par celui qui le soumettra pour expertise. L'homme réfléchit un instant et finit par me donner son accord, ce qui, quelque part, me conforte dans l'idée que l'offre dont il me parle ne paraît être au mieux qu'un moyen de fixer un prix plancher pour son tableau si l'expert l'estime authentique. A peine ai-je fini de remplir un reçu de dépôt pour ce tableau qu'un des autres Grecs sort de sa serviette une sorte de livre en cuir écorné et m'invite à l'ouvrir pour voir son contenu. Je déchiffre alors le nom de Chlomovitch écrit en cyrillique sur la page de garde et le feuillette alors religieusement en y découvrant tour à tour des dessins de Chagall, de Klee, de Kandinsky, de Vlaminck ou de Matisse. Bref, une petite fortune… Je m'amuse alors à aligner des chiffres sur une feuille de papier, histoire d'estimer l'ensemble tandis que les Grecs se mettent à m'observer d'un air curieux. «A combien estimez-vous ce livre ?», me demande l'un d'eux. - D'après moi, cela vaut environ 1,5 million de francs, peut-être un peu plus… Celui qui m'a posé cette question me regarde subitement d'un air outré puis me lance brutalement que le banquier suisse est, en ce qui le concerne, acheteur à un million de dollars. - Fichtre ! Un million de dollars ? J'ai beau calculer mais ne vois pas comment vous faites votre compte car alors chaque dessin dans ce recueil vaudrait 300 000 FF à tout le moins. A ce prix-là, je vous conseille de vendre sans plus tarder ce livre d'or, qui d'ailleurs devrait être appelé de diamant... Là, je commence vraiment à croire qu'ils me prennent pour un rigolo du fait qu'à mon avis, personne au monde ne débourserait un million de dollars pour ce livre, unique certes, mais qui contient des dessins qui sont tous loin d'être des chefs d'œuvre.
Les Grecs paraissent dépités mais qu'y puis-je ? Leurs prétentions sont telles qu'il est vraiment hors de question que j'aille me faire ridiculiser auprès d'éventuels acheteurs. Quelques minutes après leur départ, je téléphone au courtier qui se chargera de faire examiner la toile attribuée à Modigliani. Ce personnage redoutable n'a pas son pareil pour mettre les experts en confiance et obtenir rapidement des certificats d'authenticité. Si cette œuvre a quelque chance de susciter l'intérêt de l'expert, il parviendra certainement à ses fins. Il a dependant l'habitude de se réserver une importante commission sur chaque œuvre authentifiée, mais il faut reconnaître qu'au préalable, il se charge de faire des photographies, d'effectuer des recherches et au besoin, de présenter des arguments solides pour parvenir à convaincre un expert au cas où ce dernier se montrerait un tant soi peu réticent devant une oeuvre sortie de nulle part. L'idée de faire authentifier un Modigliani l'excite autant que celle de gagner de l''argent au passage, à tel point que dans l'heure qui suit il se présente à mon bureau pour voir la «bête». Lui aussi paraît perplexe devant ce portrait même si la toile est sans conteste ancienne mais les yeux du personnage portraituré l'agacent et lui font faire une moue dubitative. Au bout d'un quart d'heure de palabres quant à savoir si ce tableau tient la route, il finit par l'emprunter pour le soumettre à l'expert tout en me promettant de me le rapporter au plus vite.
|
|