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« Quand la merde vaudra de l'or, le cul des pauvres ne leur appartiendra plus. » Henry Miller
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIIème Chapitre
VINCENNES, MORNE PLAINE
01 Octobre 2000 |
Dimanche 29 octobre, direction la foire de l'hippodrome de Vincennes. A 4 heures du matin, les unités composées de chineurs de choc se ruent à l'assaut du lieu, créant avec leurs lampes de poche comme un ballet de lucioles dans la nuit. Ils peuvent chercher, ils ne trouveront rien de palpitant au milieu de près de 2000 stands. Du bric à brac sans intérêt à perte de vue; de quoi finir par avoir des aigreurs d'estomac et des crampes aux mollets à force de faire des va et vient incessants dans l'espoir de trouver l'objet rare. Cette foire est devenue si nulle qu'elle ne me reverra pas revenir au trot lors de la prochaine édition. Porte de Versailles, autre lieu, autre foire, nimbée de prestige celle-là puisqu'il s'agit de la FIAC. Cette année, les organisateurs ont voulu rompre avec le train-train des manifestations précédentes en incitant les exposants à ne montrer en général que les œuvres d'un seul de leurs poulains. Une bonne initiative à priori sauf que les pièces présentées laissent souvent à désirer. Le cru 2000 est honnête sans plus et n'a donc rien d'enivrant. Dans le domaine de l'art contemporain, les Américains continuent à faire la loi et ne laissent que des miettes aux Français. A Drouot, les œuvres des meilleurs autochtones se négocient souvent en dessous de 200 000 FF, une misère par rapport aux prix enregistrés pour celles de Jeff Koons, Thomas Struth, Basquiat, Carl André, Damien Hirst, Cindy Sherman, Robert Gober, Charles Ray ou même Tom Friedman, l'artiste qui monte outre-Atlantique. Les vedettes françaises ne font pas le poids sur le marché international et les acheteurs en France ne sont pas légion. Alors, comme la création ne peut se développer qu'avec la diffusion, il y a un déficit qui devient de plus en plus difficile à combler. A la FIAC, on espère que Buren, maintenant sous la coupe de Marian Goodman, se vendra mieux hors de l'Hexagone alors que Bertrand Lavier, Fabrice Hybert ou Pierre et Gilles pointent de plus en plus leur nez sur le marché en vendant la plupart de leurs œuvres aux Etats-Unis. C'est maigre pour la France mais cette situation est surtout à porter sur le compte du gouvernement qui a trop favorisé une politique de subventions en faveur d'artistes lesquels, du fait de cet assistanat, ne font alors pas l'effort de se promouvoir à l'étranger. A cause des Fracs les Français ont baissé leur froc...
Mercredi 1er novembre, foire de la Toussaint à la porte de Montreuil. Un temps à ne pas mettre un chien dehors mais la pluie et les rafales de vent n'empêchent pas les chineurs de déferler sur les stands dès six heures du matin. Manque de bol, il n'y a rien d'excitant à acheter. Cela devient plutôt désespérant… A quatorze heures, direction la foire d'art contemporain de la Bastille, une manifestation qui se veut sympathique et qui attire les foules malgré son côté amateur. C'est simple, parmi la masse des exposants, il n'y a qu'une demi-douzaine d'artistes à retenir comme le Chinois Chen Jiang Hang, la jeune Alphée, Bernard Giraudi, Christophe, avec ses étonnantes sculptures de bois et de métaux récupérés, ou Gilles Rieu. Joël Garcia, l'organisateur de cette foire, s'est contenté de faire le plein sans chercher à faire le tri entre les bons et les mauvais. Pour faire du remplissage, c'est gagné mais le résultat est affligeant tant on a l'impression de déambuler dans une exposition pour débutants. En circulant sous la tente principale, je croise un marchand des Puces de Saint-Ouen, un magnifique fou d'art pétri de savoir qui se plaint d'avoir la nausée à force d'avoir des mièvreries sous les yeux. Au même moment, il se fait taper sur l'épaule par un Russe arménien qui lui demande s'il est venu faire une moisson dans cette foire. Pour toute réponse, le marchand lui lâche : «La seule chose qui m'intéresse est cette statuette en porcelaine que je t'ai confiée il y a trois ans et dont j'attends le remboursement». La gueule avinée, le dénommé Souren M. s'écarte de sa petite amie, une artiste peintre un peu paumée qui, visiblement honteuse, détourne la tête, puis il se met à marmonner entre ses dents gâtées que la porcelaine en question a finalement été vendue. «Vendue ? Pendant deux ans, elle était prétendument restée chez ta femme qui t'avais foutu dehors et maintenant, j'apprends que tu l'as négociée sans me payer en retour ? Dis-moi que je rêve !», s'exclame le marchand d'un ton excédé. L'Arménien le prend alors à part et d'un ton outré lui reproche alors de faire un scandale inutile devant sa petite amie. Un comble ! «Espèce d'escroc, je ne sais pas ce qui me retient de te casser la figure devant tout le monde», se met à crier le marchand pris d'une fureur que je trouve pour le moins justifiée. Encore un loustic à classer parmi les indésirables qui n'arrêtent pas de pulluler dans le monde de l'art. Il faut vraiment se méfier du chant de ce Souren qui prend les gens pour des imbéciles…
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