Je traîne à la recherche d'un ami puis le trouve et me rend avec lui au tabac où je vois Chester attablé au fond de la salle en train de faire découvrir ses trouvailles à deux marchands. Plutôt pressé, je lui demande de me faire voir son Meissonier.
Il le sort enfin de son sac mais un des deux marchands s'en empare avant de décréter que pour lui il semble s'agir d'une litho rehaussée. Je parviens enfin à avoir l'oeuvre en main, prends ma loupe et demande à Chester si je peux la décadrer.
- Pas de problème. je t'ai dit que c'était une bombe atomique...
Je la sors de son cadre, passe un doigt sur le papier et constate qu'il s'agit bien d'un dessin qui n'a pas été fixé. Je lui demande alors combien il en veut.
- Quinze !
" Quinze cents?", s'enquiert mon ami.
- Non, quinze mille !
Je hoche la tête car le prix me paraît conséquent et cherche à savoir s'il peut consentir à se montrer moins gourmand.
"A douze, il est à toi", me répond-il.
Je reste un peu à la dérive durant un instant sans pouvoir me décider. Il me regarde avec l'air de me dire que c'est là son dernier prix puis suggère qu'il pourrait éventuellement me le céder contre une peinture de Laprade qu'il a vue chez moi et un complément en argent.
- Laisse-moi un moment pour me décider...
Je me mets alors à réfléchir à sa proposition mais au même moment, un des deux marchands, penché sur ce dessin depuis quelques minutes, lui annonce qu'il le prend. Chester me regarde alors avec une mine désolé tandis que je serre les dents de m'être fait doubler de la sorte.
Son attitude est inconcevable et je dois me maîtriser pour ne pas laisser éclater ma colère. Dégoûté, je quitte illico ma table en invitant mon ami à me suivre tout en lâchant à l'adresse de Chester qu'il était inutile de me faire déplacer pour des prunes. Je n'ai droit qu'à un sourire contrit pour toute réponse.
Une vingtaine de minutes plus tard, je le retrouve dans la salle 13 et l'apostrophe en public pour fustiger son attitude.
- Ce que tu as fait est inadmissible !
- N'en fais pas un fromage. On trouvera l'occasion de se rattraper...
- Tu parles! En attendant, je n'aurais jamais cru que tu étais capable de faire un sale coup comme celui-là.
Le type avec qui il était en conversation lors de mon arrivée me donne raison et lui suggère de faire amende honorable mais le mal est fait et je n'ai que faire de plates excuses. Décidément, les gens de parole se font aujourd'hui de plus en plus rares parmi les chineurs...