| | Citation |
| | |
|
On finit par être un triple sot en laissant trop traîner les choses en longueur (AD)
|
|
|
|
Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Ier Chapitre
DES FOUS D'ART A LA PELLE
01 Mai 2000 |
Cet article se compose de 3 pages.
1
2
3
|
Il est évidemment primordial de rappeler que les fous d'art ne sont pas tous sortis du même moule et qu'ils forment en fait plusieurs catégories.
Comme il y a des degrés dans la folie, il y a ainsi des gentils fous, des fous raisonnables, des fous rêveurs, des fous dangereux, des fous malins et d'autres qui sont vraiment irrécupérables.
Je connais notamment un fou d'art qui vit essentiellement des belles royalties d'une chanson devenue indémodable depuis une dizaine d'années et qui a dépensé une bonne partie de ses gains à Drouot ou dans des foires à la brocante pour acquérir des centaines de tableaux, mais pas n'importe lesquels puisqu'à chaque achat, il s'est mis dans un état d'euphorie extrême en pensant avoir mis la main sur l'œuvre d'un grand maître.
Il a donc amassé plus de mille toiles en une quinzaine d'années après avoir cru chaque fois être en possession d'un Van Gogh, d'un Sisley, d'un Monet, d'un Renoir ou d'un de ces grands peintres qui électrisent le marché. Mais ses Dufy, ses Manet, ses Géricault et ses Delacroix ne sont finalement que de vulgaires croûtes.
Je me souviens d'un événement cocasse vécu en 1998 à la foire de Chatou en compagnie d'un autre fou d'art, un Luxembourgeois du nom de Chester Fielx habitué de Drouot. Au détour d'une allée nous rencontrâmes notre quidam, surnommé je ne sais pourquoi " La Marmotte", qui semblait tout excité et qui ne manqua pas de nous montrer sa trouvaille , c'est à dire «Mazeppa» attaché sur le dos d'un cheval, ou plutôt un gnome bizarre avec un torse gigantesque et des jambes minuscules -une véritable horreur- mais notre découvreur était sûr quant à lui d'avoir trouvé un authentique Géricault. De plus, il y avait un cachet à la cire sur le châssis de son petit tableau qui signifiait à ses yeux qu'il devait provenir d'une importante collection.
«Je suis curieux de savoir ce que signifie ce R figurant sur ce cachet», nous déclara-t-il en espérant évidemment une réponse à sa question. «Comment ? Tu ne connais pas ce fameux cachet ? Allons !», rétorqua le Luxembourgeois avec une assurance feinte.
Notre découvreur hocha la tête d'un air dubitatif puis le supplia de l'affranchir.
«Eh bien, c'est le fameux cachet de la collection Roswell. Ça m'étonne que tu ne le saches pas», lui répondit l'ami Chester d'un ton qui se voulait sérieux. C'est vraiment du tout Fielx cette manière de lâcher des blagues sur un ton assuré. Et la grosse ficelle de Roswell, cet endroit des Etats-Unis où on prétendit à la fin des années 1950 qu'une soucoupe volante s'était écrasée avec à son bord un équipage d'extra-terrestres dont l'un des membres fut soi-disant filmé sur une table de dissection, passa comme une lettre à la poste auprès de notre niais, ravi d'être mis au courant d'un tel pedigree. Et ce dernier ajouta : «Avec une telle provenance, Wildenstein ne pourra pas me refuser un certificat d'authenticité…». Tu parles !
|
|
Il est évidemment primordial de rappeler que les fous d'art ne sont pas tous sortis du même moule et qu'ils forment en fait plusieurs catégories.
Comme il y a des degrés dans la folie, il y a ainsi des gentils fous, des fous raisonnables, des fous rêveurs, des fous dangereux, des fous malins et d'autres qui sont vraiment irrécupérables.
Je connais notamment un fou d'art qui vit essentiellement des belles royalties d'une chanson devenue indémodable depuis une dizaine d'années et qui a dépensé une bonne partie de ses gains à Drouot ou dans des foires à la brocante pour acquérir des centaines de tableaux, mais pas n'importe lesquels puisqu'à chaque achat, il s'est mis dans un état d'euphorie extrême en pensant avoir mis la main sur l'œuvre d'un grand maître.
Il a donc amassé plus de mille toiles en une quinzaine d'années après avoir cru chaque fois être en possession d'un Van Gogh, d'un Sisley, d'un Monet, d'un Renoir ou d'un de ces grands peintres qui électrisent le marché. Mais ses Dufy, ses Manet, ses Géricault et ses Delacroix ne sont finalement que de vulgaires croûtes.
Je me souviens d'un événement cocasse vécu en 1998 à la foire de Chatou en compagnie d'un autre fou d'art, un Luxembourgeois du nom de Chester Fielx habitué de Drouot. Au détour d'une allée nous rencontrâmes notre quidam, surnommé je ne sais pourquoi " La Marmotte", qui semblait tout excité et qui ne manqua pas de nous montrer sa trouvaille , c'est à dire «Mazeppa» attaché sur le dos d'un cheval, ou plutôt un gnome bizarre avec un torse gigantesque et des jambes minuscules -une véritable horreur- mais notre découvreur était sûr quant à lui d'avoir trouvé un authentique Géricault. De plus, il y avait un cachet à la cire sur le châssis de son petit tableau qui signifiait à ses yeux qu'il devait provenir d'une importante collection.
«Je suis curieux de savoir ce que signifie ce R figurant sur ce cachet», nous déclara-t-il en espérant évidemment une réponse à sa question. «Comment ? Tu ne connais pas ce fameux cachet ? Allons !», rétorqua le Luxembourgeois avec une assurance feinte.
Notre découvreur hocha la tête d'un air dubitatif puis le supplia de l'affranchir.
«Eh bien, c'est le fameux cachet de la collection Roswell. Ça m'étonne que tu ne le saches pas», lui répondit l'ami Chester d'un ton qui se voulait sérieux. C'est vraiment du tout Fielx cette manière de lâcher des blagues sur un ton assuré. Et la grosse ficelle de Roswell, cet endroit des Etats-Unis où on prétendit à la fin des années 1950 qu'une soucoupe volante s'était écrasée avec à son bord un équipage d'extra-terrestres dont l'un des membres fut soi-disant filmé sur une table de dissection, passa comme une lettre à la poste auprès de notre niais, ravi d'être mis au courant d'un tel pedigree. Et ce dernier ajouta : «Avec une telle provenance, Wildenstein ne pourra pas me refuser un certificat d'authenticité…». Tu parles !
mai 2000
Fou d'art et fou tout court, notre cher compositeur a donc chez lui plus d'un millier de tableaux achetés à des prix variant entre 1500 et 20 000 FF, ce qui fait qu'on peut estimer qu'il a dépensé en quinze années entre 3 et 6 millions FF au total, de quoi s'offrir entre cinq et dix toiles authentiques de quelques grands artistes. Ses amis lui ont plus d'une fois conseillé d'aller revendre ses «nanars» pour récupérer une bonne partie de ses mises et chercher enfin à se constituer une collection qui tiendra vraiment la route mais notre sympathique cinglé n'a jamais voulu les écouter.
Ce genre de fou d'art n'est pas le seul, loin de là. Il suffit d'aller à Drouot chaque jour pour repérer cette petite bande d'illuminés agglutinés dans une salle où se déroule une vente courante et prêts à s'exciter dès qu'un tableau qui pourrait bien être l'œuvre d'un grand maître est offert aux enchères sans aucune garantie d'authenticité de la part du commissaire-priseur.
Parmi ces autres fous, j'ai rencontré ce marchand roumain qui a écumé Drouot en achetant des toiles signées de grands noms dans de nombreuses ventes courantes. Des Douanier-Rousseau, des Toulouse-Lautrec et je ne sais plus quoi encore, payés à coups de cinq mille, dix mille ou vingt mille francs pièce, sauf qu'au contraire de notre compositeur rêveur, le rusé de Bucarest au profil d'aigle est parfois parvenu à centupler certaines de ses mises et même à faire plus fort encore comme en rachetant à un autre fou, surnommé «Gargamelle», un cuisinier d'origine bretonne qui a délaissé ses fourneaux pour Drouot, un dessin signé Ingres, qu'il avait acquis pour 800 FF dans une vente ordinaire, et qui fut revendu à New York par notre Dracula de service pour près de 8 millions FF, cette fois muni d'un certificat d'authenticité en bonne et due forme.
Fou intelligent, ce redoutable Roumain, qui vit maintenant dans un luxueux hôtel particulier à Bucarest, a rentabilisé ses folles virées à Drouot en sachant surtout se constituer à la longue une belle collection de bouquins d'art qu'il n'a pas manqué de dévorer un à un pour irriguer ses circuits mnémoniques. Se repasser sans cesse des images dans le cerveau, voilà ce qui fait la différence entre un bon chineur fou et un rêveur détraqué qui pense avoir tout compris après avoir feuilleté quelques livres ou catalogues de vente. Qu'on se le dise, il faut aussi prendre le risque de se planter plus d'une fois en achetant ce qui ressemble à l'œuvre d'un grand peintre avant de réussir un coup comme on dit dans le métier. Notre Roumain n'est ainsi parvenu qu'une fois sur trente ou quarante à toucher le jackpot mais en ayant toutefois mis les meilleurs atouts de son côté pour sortir enfin une merveille parmi un lot de croûtes. Sans prise de risque, il est impossible de penser transformer le plomb en or.
Les fous intelligents forment néanmoins une petite minorité alors que les idiots aux doigts d'or finissent presque toujours par se faire avoir tôt ou tard, comme "Dédé de Montreuil", un chineur qui ne paie pas de mine, petit bonhomme insignifiant, qui fait chaque mois des trouvailles incroyables mais s'en débarrasse illico presto comme s'il tenait des charbons ardents entre les mains. Tel un papillon de nuit attiré par une vive lumière, il fonce voir d'autres fous d'art qui sont néanmoins prêts à lui refiler trois ou quatre fois plus que le prix qu'il a payé pour une découverte.
D'habitude, il place la barre assez haut et au fil de la négociation, il se met à suer à grosses gouttes et à bafouiller. « 10 000…», dit-il mais il s'entend répondre invariablement "3 000" ou "4 000".
«Bon, 7 000… Alors 6 000…», tente-t-il de dire alors que ses mains tremblent de plus en plus jusqu'au moment où, dépité et à vrai dire vaincu, il accepte l'offre qui lui a été faite.
Un jour, il trouva pour 200 FF à Montreuil un tableau représentant un singe en train de peindre, en fait la copie d'une œuvre connue d'Alexandre Decamps signé cette fois «H. Rousseau», Rousseau comme le Douanier du même nom. Il alla voir un autre fou d'art, une sorte de vagabond de la chine originaire d'Angoulême, qui avait lui aussi accumulé des centaines de croûtes dans son taudis en pensant qu'elles étaient d'authentiques chefs d'œuvre. Ce dernier, contre la promesse de l'acheter 4 000 FF, alla confier ce petit tableau à un marchand du marché Malassis à Saint Ouen lequel le revendit pour 20 000 FF à un courtier lequel s'empressa d'obtenir de son côté un certificat de l'expert en titre avant de le revendre pour 785 000 FF dans une vente aux enchères à Düsseldorf. Notre chineur perdit sur toute la ligne puisqu'il ne vit même pas la couleur de ses 4000 F. En dernier ressort, il porta plainte mais fut débouté.
Cette pitoyable affaire s'est malheureusement répétée assez souvent pour ce malchanceux qui n'arrête pas de perdre les pédales lorsqu'il a un trésor en main.
|
|