Le mouvement Dada naquit à Zurich en 1916 en pleine guerre mondiale pour s'opposer à la société de leur époque, comme l'avaient fait les Expressionnistes allemands dix ans plus tôt.
L'un des grands papes du Dadaïsme fut Tristan Tzara, un jeune poète juif roumain qui créa la revue et un manifeste « Dada » dont l'influence de son mouvement déborda rapidement les frontières de la Suisse pour atteindre l'Allemagne et la France.
Pour affirmer leur existence, les Dadaïstes se déclarèrent en lutte ouverte contre l'art conventionnel mais aussi contre eux-mêmes, trouvant ainsi dans l'acharnement de leurs adversaires un motif de satisfaction.
Il faut dire qu'au sortir de la Première Guerre Mondiale, la situation fut propice à l'éclosion du mouvement Dada lequel put séduire de nombreux partisans parmi une jeunesse déboussolée par le conflit et ses ravages lesquels trouvèrent matière à s'exprimer et à bousculer les idées reçues à travers ses manifestations alliant provocation et dérision.
La chute des empires allemand et austro-hongrois montra d'ailleurs à quel point les valeurs de la vieille Europe avaient vacillé sur leurs bases au point de pousser la plupart des régimes en place jusqu'au bord de l'abîme alors que d'autres allaient s'effondrer.
Le monde de l'art avait déjà été secoué par de profonds changements depuis le début du siècle avec les représentants du Jugenstil en Autriche, les Fauves, les Expressionnistes allemands, les Cubistes, les Futuristes et les Constructivistes. Il ne restait donc plus qu'à faire sauter un dernier verrou, celui de l'ordre établi et des conventions, pour aller vers une liberté complète, ce que les Dadaïstes ne se privèrent pas de faire sans se douter qu'ils allaient ouvrir la voie au Surréalisme et à des questionnements plus profonds pour les artistes.
Le terme « Dada » signifiait cheval pour les enfants tout en étant également un thème de prédilection, une idée sur laquelle on revient sans cesse. On dit d'ailleurs « enfourcher son dada » alors que ce terme équivaut à une marotte.
Le « Dadaïsme » fut au départ un mouvement de révolte esthétique et littéraire né par réaction contre la guerre et le militarisme qui exprima un refus absolu de l'art, récusé jusque là dans ses manifestations d'avant-garde comme le Cubisme ou le Futurisme. Toutefois, pour émerger, il lui fallut un terreau qui fut notamment celui du nihilisme en Russie et de l'anarchie ailleurs, deux mouvances qui s'exprimèrent durant la seconde moitié du XIXe siècle à la suite des mouvements révolutionnaires ouvriers.
La dénonciation de la société bourgeoise, du capitalisme et des régimes autocratiques fit longtemps son lit en Europe, donc bien avant l'apparition des « Dadaïstes » et leur offensive contre l'art et la littérature qui trouva un profond écho en Allemagne en raison du désastre provoqué par le conflit mondial.
A Paris, le souvenir de la « Bande à Bonnot » était resté vivace dans les esprits. Il n'en fallut donc pas beaucoup pour Tzara et ses amis pour attirer l'attention sur eux mais, limité à la Suisse, un pays ancré dans les traditions avec une population respectueuse de la loi et de l'ordre, le « Dadaïsme » risquait d'être vite étouffé. Par chance, il écuma à Berlin et à Paris pour trouver des forces nouvelles et s'engager sur la voie d'une provocation contagieuse.
Ainsi, dès le début de 1919, Francis Picabia, qui avec Marcel Duchamp avait contribué à l'émergence de l'art contemporain six ans plus tôt à New York, partit en Suisse rencontrer Tzara avec lequel André Breton se mit aussi à correspondre. Dès lors, le jeune poète roumain était attendu avec impatience à Paris.
Tzara arriva à Paris en janvier 1920. Sans argent et un peu perdu, il fut reçu par Picabia qui l'hébergea dans son appartement de l'avenue Emile Augier durant près d'un an.
Une semaine après l'arrivée de Tzara, les nouveaux Dadaïstes français organisèrent un happening au Palais des Fêtes de la rue Saint-Martin au cours duquel furent présentées deux œuvres de Picabia qui provoquèrent l'hostilité de l'assistance, conviée en fait à assister à une conférence sur la crise du change. Rageant d'avoir été trompé et rouvant la farce plutôt sinistre, le public quitar la salle durant la lecture de poèmes de Soupault, Aragon, Breton et Tzara.
Néanmoins, les organisateurs furent satisfaits de cette manifestation puisqu'ils avaient atteint leur but en provoquant l'hostilité de l'assistance.
Au début du mois de février 1920, les Dadaïstes organisèrent un autre événement au Grand Palais en faisant croire que Gabriele d'Annunzio s'était rallié à leur mouvement et que Charlie Chaplin venait d'arriver à Paris. A l'occasion, Tzara publia dans son bulletin Dada les principes qu'il voulait mettre en œuvre en décrétant que Dada doutait de tout, que Dada était tatou que tout était Dada et que les vrais Dadas étaient contre Dada. Là, la foule fut présente au rendez-vous tout comme elle le fut deux jours plus tard pour une autre manifestation organisée rue de Puteaux au cours de laquelle des spectateurs, les uns anarchistes, les autres socialistes, s'affrontèrent physiquement.
D'autres réunions de ce genre, aussi provocatrices les unes que les autres, furent organisées cette année là, notamment en mai 1920 avec le festival Dada montré salle Gaveau qui annonça au programme un rasage de crâne pour les Dadaïstes, une danse immobile et de la musique sodomite. Ce jour là, les insultes fusèrent avec encore plus d'intensité et la presse se déchaîna en allant jusqu'à demander s'il fallait fusiller ou brûler vifs ces cinglés de Dadaïstes.
Néanmoins, des querelles internes se firent jour au sein même du mouvement, car s'ils prônaient le mépris d'eux-mêmes, les figures du Dadaïsme ne parvinrent pas à se débarrasser des travers propres à tout être humain, comme l'ambition ou la jalousie. Or, Breton se mit en tête de prendre le pouvoir comme lors du faux procès intenté à Maurice Barrès au cours duquel il s'institua président du tribunal.
Tzara et Picabia s'y opposèrent et ce dernier alla jusqu'à vilipender Breton et ses partisans, Soupault et Aragon en particulier. Picabia s'en prit aussi à Tzara en revendiquant la paternité du Dadaïsme, créé selon lui avec Marcel Duchamp dès 1913.
Le mouvement devint alors la proie de conflits et de bagarres qui le minèrent surtout lorsque le peintre Christian Schad accusa Tzara d'être un imposteur dans une lettre adressée en 1921 à Picabia en signalant que les inventeurs du mot « Dada » avaient été en fait Hugo Ball et Richard Huelsenbeck alors que Tzara se trouvait ailleurs à ce moment là.
En Octobre 1921, André Breton provoqua définitivement une scission en organisant « Le Congrès de Paris » avec l'ambition de faire évoluer le mouvement et l'arroère pensée de le contrôler.
En réaction, Tzara et les adversaires de Breton se réunirent en février 1922 à la « Closerie des Lilas » pour condamner ce dernier et ses méthodes jugées dictatoriales.
Cette division entre Dadaïstes prit une tournure plus violente en juillet 1923 lorsqu'au cours d'une soirée organisée par Tzara au Théâtre Michel, Breton intervint brutalement en cassant d'un coup de canne le bras de Pierre Massot qui avait selon lui dépassé les bornes en lisant un texte injurieux envers Gide et Picasso.
Ce fut ensuite Tzara qui se fit corriger à coups de poing par Eluard avant d'organiser une dernière manifestation en mai 1924 au théâtre de la Cigale où on joua « Mouchoir de nuage », sa dernière pièce.
Le mouvement Dada poussa là son ultime soupir alors que le soir de la première, Tzara rencontra Greta Knutson, sa future épouse, qui lui offrit en cadeau un hôtel particulier dont le confort lui fit oublier quelque peu ce pour quoi il s'était battu.
Sept mois plus tard, Breton publia le « Manifeste du Surréalisme », un mouvement né des cendres du Dadaïsme, en provoquant la colère de Picabia qui ne voyait absolument rien d'avant-gardiste chez le directeur de « Littérature » qui avait estimé de son côté que les Dadaïstes français étaient surtout liés par leurs différences, ce qui à priori ne pouvait que conduire à une rupture avec Tzara.
En fait, dès 1920, Breton avait découvert le principe de l'écriture automatique avant de rencontrer Freud l'année suivante pour ensuite remplacer les apports agressifs et provocants du Dadaïsme par une forme de littérature visant à abolir le contrôle de l'acte créatif en utilisant plutôt l'automatisme et le hasard tout en recourrant à l'inconscient. Ce fut ainsi qu'il fut amené en 1924 à éditer son premier manifeste du Surréalisme, un mouvement qui attira nombre d'anciens artistes dadaïstes comme Picabia, Man Ray ou Max Ernst alors que Tzara n'y adhéra qu'en 1929. En réalité, Breton avait compris assez vite que le Dadaïsme, qui avait perdu énormément de son propos après la guerre, était voué à disparaître et qu'il était nécessaire de donner un sens à son fils spirituel qu'était le Surréalisme, lequel présentait l'avantage de s'articuler autour de la notion d'onirisme tout en demeurant provoquant et scabreux à travers ses thèmes.
Le Dadaïsme courut à sa perte parce que par définition, il n'était rien même s'il voulait dire tout. Privé de choix et d'engagement, ce mouvement n'avait dès lors aucun objectif précis car il était le contraire de ce qu'il entendait signifier et vice versa, ce qui l'amena comme un chien à se mordre la queue.
Anti presque tout et enfantin à la fois, il résumait des contradictions insolubles au point de ne pas être lui-même un mouvement à proprement parler.
Pour résumer, Dada vit le jour en 1916 au Cabaret Voltaire de Zurich et ne survécut au plus que six ans quoique Hugo Ball, inventeur du mot « Dada », estima que l'existence du mouvement zurichois, né en réaction à la situation politique dans une Europe déchirée par la guerre, ne dura que quelques mois.
Précédé par d'autres courants qui secouèrent le monde de l'art à partir du début du XXe siècle, comme l'Expressionnisme, le Cubisme ou le Futurisme, le Dadaïsme fit donc brièvement fureur à Zurich avant d'essaimer à Berlin, Hanovre, Cologne, New York et Paris.
A Zurich, il se limita surtout aux soirées littéraires. A Berlin, il fut plus protestataire et politique alors qu'à Cologne, il fut le creuset de nouvelles expérimentations artistiques.
Le mouvement se fit connaître à travers de nombreuses revues telle « Der Ventilator » publiée à Cologne et tirée à 40 000 exemplaires, ce qui démontre que les Dadaïstes avaient une certaine science de la publicité pour attirer les foules.
Leurs conférences répondirent souvent à leurs attentes puisqu'elles conduisirent maintes fois à des émeutes alors que leurs revues et leurs expositions furent interdites à plusieurs reprises et que leurs artistes furent parfois arrêtés par la police mais au bout de plusieurs scandales, ils finirent par être en manque d'imagination pour finalement lasser le public.
Le mouvement dada fut par essence irrationnel d'autant plus que ses adeptes ne furent jamais en position de former un bloc soudé. Tout ce qu'ils cherchaient était d'exercer une influence sur leur temps par des actions spontanées et le seul résultat positif qu'ils obtinrent fut l'invention de nouvelles démarches ou techniques artistiques.
Si la Suisse fut le berceau du Dadaïsme, ce fut parce que ce pays n'était pas en guerre et qu'il abritait des artistes ou des intellectuels étrangers qui avaient refusé de participer au conflit. L'auteur de théâtre Hugo Ball était ainsi arrivé en 1915 à Zurich où il créa le « Cabaret Voltaire » en attirant à sa suite les artistes Marcel Janco, Jean Arp et Hans Richter ainsi que le poète Tristan Tzara et Richard Huelsenbeck dont il avait fait la connaissance à Berlin. Ces gens-là s'étaient pour la plupart réfugiés en Suisse pour échapper à la boucherie guerrière qui causa la perte de nombreux artistes de talent tels Franz Marc, August Macke ou Umberto Boccioni.
La guerre avait un côté irrationnel tout comme le mouvement Dada qui s'y opposa mais à Zurich, son champ d'action fut somme toute limité alors qu'à Berlin, il se montra plus politique en poussant le public à ouvrir les yeux sur les désastres du conflit mondial.
Les débuts du mouvement à Zurich furent plutôt empreints de bonhomie sinon d'amateurisme surtout que la salle du « Cabaret Voltaire » ne pouvait accueillir qu'une cinquantaine de personnes mais ses membres se démenèrent pour lui donner vie en la décorant de tableaux ou de masques créés par Marcel Janco, Ball, Max Oppenheimer ou Jean Arp en présentant des spectacles, des récitals et des numéros qui ne manquèrent pas d'invention au fil des semaines.
Les Dadaïstes se renouvelèrent sans cesse dans la provocation et l'inédit et connurent ainsi un certain succès sauf qu'à un moment, des divergences éclatèrent lorsqu'on chercha à savoir qui avait inventé le mot « Dada ». Un jour, Jean Arp affirma l'avoir prononcé le premier avant d'être rappelé à l'ordre par Tzara alors qu'en réalité, cette paternité revenait à Huelsenbeck et Ball dès le début de 1916.
A travers ce mot, les Dadaïstes exprimèrent leur manière d'être anti-bourgeois, anti-guerre et même anti-tout en se manifestant sur scène tels des garnements déguisés et en prononçant des phrases incompréhensibles ou des poèmes phonétiques dénués de sens comme pour montrer que le langage classique était perverti. De toute façon, parler normalement était contraire à l'esprit dada.
Les Dadaïstes eurent ainsi le chic d'imposer le n'importe quoi, tout comme Duchamp avait osé défier le monde académique en présentant un bidet en tant que véritable objet d'art, mais ils parvinrent malgré tout à définir de nouvelles techniques artistiques intéressantes comme le photo-montage et le collage.
A Zurich, le mouvement ne tint la rampe que durant quelques mois surtout que Hugo Ball s'était subitement avisé qu'il était devenu vide de sens. Ce fut alors que Tzara et Huelsenbeck reprirent le flambeau en août 1916.
En 1917, Huelsenbeck partit pour Berlin où il participa à l'éclosion du mouvement Dada dans cette ville tandis que Arp alla deux ans plus tard à Cologne rejoindre Max Ernst. De son côté, Tzara resta à Zurich où il continua à animer des soirées en compagnie de l'écrivain Walter Serner jusqu'au moment où il jugea préférable de continuer l'aventure à Paris à l'invitation de Breton.
Après son arrivée à Berlin, Huelsenbeck versa moins dans l'ironie en employant des discours plutôt expressionnistes lors des premières manifestations qu'il organisa puis il opéra un revirement en revenant à l'esprit dadaïste en janvier 1918 sous l'impulsion de Raoul Haussmann ou de Johannes Baader qui lui permirent d'ouvrir les yeux sur la situation sociale catastrophique qui prévalait en Allemagne à cette époque.
Profitant d'un climat franchement révolutionnaire, Huelsenbeck et Haussmann trouvèrent un large écho auprès du public, de plus en plus écoeuré et fatigué par la guerre, et incitèrent certains artistes comme Georg Grosz, John Heartfield ou Hanna Höch à les rejoindre.
Le premier manifeste du mouvement berlinois fut ainsi présenté le 12 avril 1918 avec pour but de bousculer l'art tout en annonçant qu'en s'opposant à ce manifeste on ne pouvait qu'être dadaïste. Cette soirée là fut l'occasion d'un énorme chahut alors que la police intervint pour saisir les exemplaires du manifeste et arrêter Haussmann.
Le mouvement mit alors quelque temps à se remettre de ce contre-coup et ce fut l'assassinat des chefs spartakistes Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht en janvier 1919 qui permit de le relancer lorsque Huelsenbeck eut l'idée de secouer le prolétariat. Ce fut alors que l'artiste Kurt Schwitters rejoignit « Dada » mais en même temps, l'action des Dadaïstes était devenue franchement plus politique puisqu'ils professèrent ouvertement l'anarchie. Tout en ayant affaire à des frictions nées de rivalités entre artistes se jalousant les uns et les autres, ils parvinrent néanmoins à trouver un certain écho auprès du public et de la presse en menaçant ouvertement de détruire la République de Weimar.
Cette époque fut fertile pour le Dadaïsme qui permit l'émergence de photo-montages ou de collages très réussis qui servirent à dénoncer le régime en place et furent ainsi de redoutables instruments de propagande.
En août 1920, les Dadaïstes organisèrent la Première Foire Internationale Dada à la galerie Burchard en montrant 175 objets et montages, dont certains furent très provocateurs, comme un mannequin représentant un officier allemand portant un masque de cochon, et à laquelle participèrent des artistes comme Arp, Otto Dix, Picabia ou Ernst. Néanmoins, le public se désintéressa de cette manifestation qui avait eu pourtant un caractère nettement avant-gardiste.
Des poursuites furent diligentées contre certains participants accusés d'avoir produit des œuvres diffamantes mais au bout du compte, Haussmann fut mis hors de cause, Baader acquitté et Grosz condamné à une légère amende. Paradoxalement, faute d'avoir été condamnés, les Dadaïstes se transformèrent en quelque sorte comme les victimes de ces poursuites pour n'avoir pas affirmé leurs convictions ni défié leurs juges. En conséquence de quoi, le mouvement berlinois perdit subitement de sa superbe et s'enlisa avant de sombrer définitivement, chacun de ses protagonistes reprenant sa liberté pour emprunter d'autres voies, comme Ernst qui se dirigea vers le Surréalisme.
De son côté, Schwitters, considéré comme un petit bourgeois, n'avait guère séduit Huelsenbeck, ce qui amena l'artiste à se démarquer de ce dernier et à remplacer le mot « Dada » par celui du concept « Merz » dans ses assemblages qu'il présenta à la galerie Der Sturm en 1919.
Schwitters construisit ainsi des tableaux avec des tickets de tramway, des petits morceaux de bois, de la ficelle, du fil de fer, des morceaux de fer blanc ou du papier en cherchant à donner un côté esthétique à ses œuvres tout en décrétant que le pur Merz était de l'art propre à s'épanouir alors que le pur Dadaïsme était simplement de l'anti-art.
A Cologne, Max Ernst qui se faisait appeler « Dadamax », Theodor Baargeld et Jean Arp avaient organisé en avril 1920 le « Printemps Dada » à la brasserie Winter et édité quelques revues comme « Ventilator » ou « Schammade », dont l'unique numéro publié en en février 1920 appela les dilettantes à se soulever.
La police mit un terme au « Printemps Dada » au bout de quelques jours en prenant le prétexte d'une représentation pornographique d'un nu de Dürer arrangé par un collage de Max Ernst. L'exposition put néanmoins reprendre avec la présentation d'œuvres offertes à être détruites par un public déchaîné. Le mouvement de Cologne, qui attira notamment Otto Freundlich et Paul Klee lors de sa première exposition, eut donc une existence plutôt brève mais Ernst et Arp surent rebondir en allant à Paris.
Le Dadaïsme traversa aussi l'Atlantique pour conquérir New York et eut pour figures de proue des artistes venus aux Etats-Unis comme Duchamp ou Picabia, qui était d'origine cubaine. Ceux-ci se rencontrèrent en 1919 et travaillèrent avec Man Ray, le galeriste Alfred Stieglitz et le poète Walter Arensberg.
En 1915, Stieglitz avait édité la revue « 291 » puis Picabia publia « 391 » deux ans plus tard. Dada étant international, il était naturel de voir un tel mouvement s'implanter aux Etats-Unis où l'art moderne venait de prendre un formidable essor. Là aussi, il s'agissait de se déclarer pour et contre Dada et certaines manifestations ne manquèrent pas de scandaliser la bonne société new-yorkaise quoique la démarche des Dadaïstes fût avant tout artistique et nullement politique comme en Europe où la guerre faisait rage.
Man Ray et Picabia eurent donc tout loisir pour créer des œuvres absurdes basées sur les constructions mécaniques ou des objets courants qui étaient de l'anti-art alors que Duchamp emprunta une voie qui se voulut conceptuelle et surtout avant-gardiste en présentant en 1917 son fameux urinoir avec l'intention de transformer un ready-made en objet d'art perçu comme tel.
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A Paris, le mouvement Dada n'eut pas la même résonance qu'à Berlin ou à Cologne probablement parce que Breton, Aragon et leurs amis avaient pris tardivement le train en marche. Il leur fallut d'abord une locomotive en la personne de Tzara, venu dans la capitale en janvier 1919. Il leur fallut aussi la contribution de Picabia, déjà rodé aux Etats-Unis, d'Arp, installé en 1920, et de Man Ray, arrivé en renfort en 1921, pour lui donner plus de puissance. Toutefois, son impact fut bref, peut-être en raison des querelles intestines qui le minèrent lorsque Breton chercha à écarter Tzara et Picabia pour le contrôler, peut-être aussi à cause de la tradition des monômes des « 4 Z'arts » organisés depuis la fin du XIXe siècle par les élèves des Beaux-Arts qui parut déteindre quelque peu sur le mouvement dadaïste qui au départ fut plus littéraire qu'artistique.
On peut d'ailleurs se poser la question sur le rôle qu'aurait pu jouer Apollinaire parmi les Dadaïstes si celui-ci n'était pas mort de la grippe espagnole peu avant l'arrivée de Tzara à Paris.
Fondateur en 1919 de la revue « Littérature », Breton comprit vite que les différences qui unissaient les Dadaïstes ne pouvaient que conduire à un clash dont il vit cependant tout le parti qu'il pouvait en tirer d'autant plus que ceux-ci n'avaient pas de buts communs assez forts comme ce fut le cas en Suisse et en Allemagne où la guerre avait servi de moteur pour les actions du mouvement Dada.
En 1920, les Français désiraient oublier la guerre et trouver matière s'amuser. Le mouvement Dada les amusa donc puis les lassa alors que les années folles commençaient à battre leur plein pour leur offrir d'autres alternatives jubilatoires. Breton n'avait ainsi mis pas beaucoup de temps pour comprendre que le Dadaïsme, déjà mort en Suisse et à l'agonie en Allemagne, était dans une impasse alors que le Surréalisme était susceptible de paver une voie bien plus concrète et intéressante pour l'art, comme il parvint à le démontrer durant plus de vingt ans.
Il ne fut donc pas trop difficile pour des artistes comme Arp, Ernst, Man Ray ou Picabia de changer de fusil d'épaule pour tenter l'aventure du Surréalisme avec plus ou moins de succès alors que Dadaïsme ne subsista qu'à travers ses idées, reprises de temps à autre au cours du XXe siècle, notamment par les Nouveaux Réalistes au début des années 1960, tels Arman avec ses œuvres dénonciatrices de la société de consommation ou Tinguely avec ses machines infernales sauf que ceux-ci cherchèrent à faire de l'art d'une autre manière sans aller jusqu'à oser se dénigrer.
On se doit de reconnaître que bien que son existence fut éphémère, le Dadaïsme fit souffler un nouveau vent de liberté dans le domaine de l'art en permettant aux artistes de trouver le moyen de pénétrer de nouveaux territoires pour mettre au point de nouveaux modes d'expression.
Aujourd'hui, le concept Dada, qui fait encore recette sans plus créer de tohu-bohu, attire les foules, comme celles qui se sont ruées au Centre Pompidou pour admirer jusqu'en janvier 2006 une formidable rétrospective qui a offert un panorama plutôt exemplaire de son rôle dans l'histoire de l'art en démontrant quelque part que sans lui, le Surréalisme n'aurait pas été aussi flamboyant.