Le journal d'un fou d'art

Dimanche 24 février 2008, rien de spectaculaire au marché de Vanves, où les chineurs ont été depuis quelque temps de plus en plus nombreux à aller avec l'espoir de faire un bon coup histoire d'imiter un des rois de la chine, en l'occurrence l'incontournable Chester Fielx, lequel a encore frappé là-bas en découvrant un rare portrait peint par Corot, l'artiste qui a fait sa fortune il y a quelques années.

Souvent en veine après avoir déniché l'autoportrait de Camille Corot réalisé lorsque ce dernier était âgé d'à peine une vingtaine d'années, le chineur luxembourgeois a mis la main dernièrement sur un petit portrait de M. Sennegon, père de Louise-Claire et de Marie Louise Laure Sennegon dont l'artiste avait peint les portraits aujourd'hui accrochés au Louvre. Le plus incroyable concernant cette trouvaille a été que le cadre de ce tableau acheté pour moins de mille euros par Fielx comportait un cartouche libellé de la manière suivante "M. Sennigaud par Corot", ce qui aurait dû suffisamment intriguer le vendeur, un brocanteur pas très futé, pour entamer des recherches à son sujet malgré l'erreur concernant le nom réel du personnage peint vers 1828-1830 après le retour de Corot d'Italie.

Sennigaud, Sennegon, Fielx a vite fait le rapprochement avant de découvrir à l'aide d'une lampe à U.V le monogramme "C.C" sur la toile pour se convaincre de son authenticité. Au niveau des découvertes, Vanves a ainsi détrôné le marché aux Puces de Saint-Ouen où la belle camelote se fait de plus en plus rare.

Jeudi 28 février 2008, ouverture pour les professionnels de la Foire aux Vieux Papiers de la Porte Champerret. Il n'a pas été facile de s'y retrouver parmi ces tonnes de livres, d'affiches et de dessins proposés ça et là mais Chester Fielx, le flair toujours en alerte, a su trouver le bon stand pour s'emparer d'une oeuvre peinte sur papier par Jean Fautrier. Pour le reste, il fallait passer des heures pour farfouiller chez les exposants qui étaient rares à proposer des choses intéressantes comme ce sera le cas à partir du 7 mars à la Foire de Maastricht   où la galerie Dickinson de Londres proposera à la vente un rare tableau de Van Gogh, jamais vu sur le marché de l'art depuis 90 ans.

"L'Enfant à l'Orange", peint à Auvers deux mois avant la mort de l'artiste à la fin du mois de juillet 1890 fut récupéré par son frère Théo lequel décéda six mois plus tard. Jo, la veuve de ce dernier le céda en décembre 1890 à Octave Maus avant son achat 26 ans plus tard par les collectionneurs suisses Arthur et Hedy Hahnloser. Ainsi donc, le tableau représentant un enfant blondinet d'environ trois ans tenant une orange ou un petit ballon rouge entre ses mains resta dans leur collection à Winterthur durant près d'un siècle avant d'atterrir à la galerie londonienne qui le proposera au 21e Tefaf de Maastricht à plus de 30 millions de dollars. Ce tableau mesurant 50 x 51 cm n'est certes pas à classer parmi les chefs d'oeuvre du peintre d'autant plus que le sujet est plus difficile à vendre que des fleurs ou des paysages. Il reste que ce Van Gogh revenant un temps dans la mère patrie de ce dernier donnera un certain lustre à cette foire de grande qualité.

Mercredi 5 mars 2008, rencontre avec le "Dragon du Montenegro", un autre chineur hors pair qui m'a raconté avec excitation son dernier coup réalisé à l'Hôtel Drouot, en l'occurrence l'achat pour 60 euros avec les frais d'un tableau qui pourrait bien être du peintre brésilien Emiliano di Cavalcanti (1897-1976) dont personne n'avait décelé le style ni la signature lors de l'exposition précédant la vente.

Ce coup a suivi de quelques jours l'achat dans une vente courante d'une huile sur panneau représentant un paysage et portant la signature de Seurat précédée d'une dédicace à un certain M. Lepage pour lequel ce diable de "Dragon" n'a pas hésité à débourser 6000 euros en ayant la certitude d'avoir tapé dans le mille, ce dont il sera fixé prochainement.

Méritant bien son surnom, le Monténégrin s'est ensuite fendu d'un grand éclat de rire en racontant comment il avait acheté il y a quelque temps un Renoir non signé à un marchand qui lui en avait demandé mille euros tout en signalant qu'il n'avait pas pris la peine de le soumettre à une expertise alors qu'il en connaissait la provenance, une démarche que le chineur s'empressa de faire sans tarder auprès de l'Institut Wildenstein qui lui répondit au bout de trois mois que le tableau semblait bon mais que faute de provenance il ne pourrait pas le décréter authentique.

"Ah, c'est donc tout ce qui vous manque!", s'écria le "Dragon" en se faisant alors un plaisir de préciser la provenance de ce tableau à son interlocuteur qui alla derechef consulter les registres de la fondation pour revenir dix minutes plus tard et lui dire que celui-ci y figurait bien avec les expertises de Venturi, Daulte et Wildenstein. Bingo!

Avec sa dégaine et son physique de videur de boîte de nuit, "Le Dragon du Monténégro" ne paie vraiment pas de mine mais ne semble pas avoir son pareil pour détecter dans les salles de ventes ou chez les marchands des trésors qui ont échappé à l'oeil avisé de plus d'un collectionneur.

Dans la journée, Christine Albanel, la ministre de la Culture, a étudié un rapport de Martin  Béthenod, commissaire-général de la FIAC en vue d'étudier des mesures pour relancer le marché de l'art en France. Vaste programme quand on connaît les faiblesses du marché français face à la concurrence internationale. Il conviendra donc d'alléger la réglementation des ventes publiques, favoriser le mécénat et la dation, s'attaquer au problème du droit de suite et simplifier pour les professionnels les obligations administratives mais une fois le plus dur fait, il faudra alors prier pour une relance du marché affecté cruellement par la baisse du dollar et la crise boursière dans le monde occidental et ce n'est pas demain la veille que les affaires reprendront comme aux plus beaux jours de la fin des années 1980.