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Les romanciers non publiés ne produisent que des écrits vains (A.D)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
XVème Chapitre
Fieffé Picasso
01 Mai 2002 |
Cet article se compose de 3 pages.
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Mardi 7 mai, la France a un nouveau ministre de la Culture en la personne de Jean-Jacques Aillagon, qui présidait jusqu'à présent aux destinées du Centre Pompidou. Il ne reste plus à espérer que le niveau de la culture en France sera enfin relevé avec une gousse d'Aillagon… Mercredi 8 mai, visite sous un chaud soleil à la foire à la brocante de la Bastille où les exposants n'ont pas été de main morte avec leurs étiquettes de prix. Le manque de bonne marchandise y est probablement pour quelque chose mais leur gourmandise a de quoi donner le haut-le-cœur. Un cheval en bronze du XVIe siècle jouant l'équilibriste sur une patte, une posture bizarre pour un équidé, nanti d'une patine et d'une ciselure quelconques, a été ainsi affiché à 18 000 euros, un tarif plutôt exorbitant, alors qu'un dessin à la plume du XVIIIe siècle représentant la Neva à Saint Petersbourg m'a été proposé à 10 000 par une marchande d'origine anglaise qui s'est offusquée de m'entendre lui demander s'il s'agissait d'euros ou de francs. «Ce n'est pas ici que j'aurais dû l'exposer mais au Salon du Dessin de l'avenue Hoche où les prix ne semblent pas dissuasifs pour les amateurs», me dit-elle d'un ton outré. Je n'éprouve nul besoin de polémiquer et de lui dire que la location d'un stand à la Bastille est d'un coût quinze fois moindre qu'au Salon Hoche sans compter qu'elle n'a pas encore le calibre pour se mesurer aux grands spécialistes du dessin. A tout le moins, elle ferait mieux de mettre en vente à Drouot son panorama réalisé par l'artiste italien Giuseppe Valeriani pour espérer en tirer le prix qu'elle désire. Au détour d'une allée sous la grande tente située à l'entrée, je rencontre un ami antiquaire, beau-fils du dernier directeur de la fonderie Valsuani, qui me dit être plutôt satisfait du volume de ses transactions. La reprise tant attendue serait-elle enfin dans l'air ? On parle alors de bronzes et la conversation dévie subitement sur une anecdote vieille d'une quarantaine d'années concernant Picasso qui s'était rendu avec Sabartès à la fonderie dirigée par son beau-père pour superviser la fonte d'une de ses sculptures. « Ils étaient en train de discuter lorsque deux marchands se pointèrent à la fonderie et demandèrent à voir le maître pour lui présenter deux tableaux afin de les faire authentifier. Picasso alla vers eux, examina les deux œuvres en bougonnant puis leur déclara abruptement qu'elles n'étaient pas de lui. Les deux marchands furent sacrément décontenancés mais une fois partis, Picasso se tourna vers mon beau-père et lui avoua qu'elles étaient en fait bien de sa main mais que les trouvant ratées, il n'avait pas voulu confirmer leur authenticité, » me raconte-t-il en se tordant de rire. Il ne faudrait néanmoins pas croire que Picasso ait été le seul artiste à manifester le malin plaisir de refuser de reconnaître des œuvres qui étaient en fait authentiques. Il y eut Vlaminck, poursuivi en justice pour avoir rejeté un de ses propres tableaux, qui dut reconnaître qu'il avait été de mauvaise foi. Il y eut également Giorgio de Chirico qui fut frappé d' une bizarre amnésie concernant des œuvres qu'il avait subitement jugées indignes de lui et bien d'autres encore. Maintenant, qu'est-il advenu de ces tableaux de Picasso ? Là est la question… Un quart d'heure plus tard, je croise Michael « le puits de science » qui n'a toujours pas digéré sa déception d'avoir vu certaines de ses trouvailles être refusées par des experts. Néanmoins, il n'abandonne pas sa chasse au trésor pour autant.
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Mardi 7 mai, la France a un nouveau ministre de la Culture en la personne de Jean-Jacques Aillagon, qui présidait jusqu'à présent aux destinées du Centre Pompidou. Il ne reste plus à espérer que le niveau de la culture en France sera enfin relevé avec une gousse d'Aillagon… Mercredi 8 mai, visite sous un chaud soleil à la foire à la brocante de la Bastille où les exposants n'ont pas été de main morte avec leurs étiquettes de prix. Le manque de bonne marchandise y est probablement pour quelque chose mais leur gourmandise a de quoi donner le haut-le-cœur. Un cheval en bronze du XVIe siècle jouant l'équilibriste sur une patte, une posture bizarre pour un équidé, nanti d'une patine et d'une ciselure quelconques, a été ainsi affiché à 18 000 euros, un tarif plutôt exorbitant, alors qu'un dessin à la plume du XVIIIe siècle représentant la Neva à Saint Petersbourg m'a été proposé à 10 000 par une marchande d'origine anglaise qui s'est offusquée de m'entendre lui demander s'il s'agissait d'euros ou de francs. «Ce n'est pas ici que j'aurais dû l'exposer mais au Salon du Dessin de l'avenue Hoche où les prix ne semblent pas dissuasifs pour les amateurs», me dit-elle d'un ton outré. Je n'éprouve nul besoin de polémiquer et de lui dire que la location d'un stand à la Bastille est d'un coût quinze fois moindre qu'au Salon Hoche sans compter qu'elle n'a pas encore le calibre pour se mesurer aux grands spécialistes du dessin. A tout le moins, elle ferait mieux de mettre en vente à Drouot son panorama réalisé par l'artiste italien Giuseppe Valeriani pour espérer en tirer le prix qu'elle désire. Au détour d'une allée sous la grande tente située à l'entrée, je rencontre un ami antiquaire, beau-fils du dernier directeur de la fonderie Valsuani, qui me dit être plutôt satisfait du volume de ses transactions. La reprise tant attendue serait-elle enfin dans l'air ? On parle alors de bronzes et la conversation dévie subitement sur une anecdote vieille d'une quarantaine d'années concernant Picasso qui s'était rendu avec Sabartès à la fonderie dirigée par son beau-père pour superviser la fonte d'une de ses sculptures. « Ils étaient en train de discuter lorsque deux marchands se pointèrent à la fonderie et demandèrent à voir le maître pour lui présenter deux tableaux afin de les faire authentifier. Picasso alla vers eux, examina les deux œuvres en bougonnant puis leur déclara abruptement qu'elles n'étaient pas de lui. Les deux marchands furent sacrément décontenancés mais une fois partis, Picasso se tourna vers mon beau-père et lui avoua qu'elles étaient en fait bien de sa main mais que les trouvant ratées, il n'avait pas voulu confirmer leur authenticité, » me raconte-t-il en se tordant de rire. Il ne faudrait néanmoins pas croire que Picasso ait été le seul artiste à manifester le malin plaisir de refuser de reconnaître des œuvres qui étaient en fait authentiques. Il y eut Vlaminck, poursuivi en justice pour avoir rejeté un de ses propres tableaux, qui dut reconnaître qu'il avait été de mauvaise foi. Il y eut également Giorgio de Chirico qui fut frappé d' une bizarre amnésie concernant des œuvres qu'il avait subitement jugées indignes de lui et bien d'autres encore. Maintenant, qu'est-il advenu de ces tableaux de Picasso ? Là est la question… Un quart d'heure plus tard, je croise Michael « le puits de science » qui n'a toujours pas digéré sa déception d'avoir vu certaines de ses trouvailles être refusées par des experts. Néanmoins, il n'abandonne pas sa chasse au trésor pour autant.
« Il est évident qu'on ne peut pas avoir 100%, ni même 50%, de réussite avec les découvertes qu'on peut faire mais je persiste à penser que certains experts ne veulent décidément pas prendre de risques. J'avais la certitude, et je n'étais pas le seul dans ce cas, que ma dernière trouvaille relative à un peintre allemand réputé n'aurait pas souffert d'être contestée mais sur une simple photographie envoyée à New York le spécialiste de cet artiste en a décidé autrement. Une autre de mes découvertes n'a pas connu un meilleur sort récemment mais je dois admettre que c'est la vie ou que pour faire des coups il faut d'abord en prendre, » me dit-il d'une voix qui trahit une certaine exaspération. Sur le coup de midi, il paraît plus fringant en sortant d'un stand où il a déniché une petite vue de Ville d'Avray signée Corot. Là encore toutefois, il aura du pain sur la planche pour faire authentifier cette huile étant donné que plus de dix mille faux Corot ont déjà été recensés. Vendredi 10 mai, crachin sur Saint-Ouen où peu de marchands ont ouvert leurs stands. La faute en est aux ponts du mois de mai, une période peu propice aux brocs pour faire des adresses. Il reste aux chineurs à se rabattre sur les nombreuses foires de la région parisienne pour essayer de trouver leur bonheur. En attendant, j'apprends que des chineurs veulent s'en prendre à Chester Fielx qu'ils accusent de fourguer des « pompes » un peu partout. L'un d'eux déclare être très remonté contre lui mais celui-ci oublie dans quelles circonstances il s'est retrouvé piégé en achetant un tableau qu'il pensait valoir plus de 50 000 euros. Chester ne semble donc nullement fautif en l'occurrence mais depuis sa glorieuse découverte d'un autoportrait de Corot et parce qu'il est désormais réputé avoir la main heureuse, toute une bande de chineurs vient sans cesse le harceler pour lui acheter ses trouvailles en croyant que tout ce qu'il déniche peut immédiatement se transformer en or mais son accusateur n'en démord pas. Selon lui, Chester irait même jusqu'à fabriquer des faux, une affirmation totalement dénuée de fondement. Il était cependant prévisible que tôt ou tard, Chester serait dans le collimateur de chineurs jaloux de ses succès et que ceux-ci ne manqueraient pas de distiller de sales ragots à son sujet. Justement, sur le coup de dix heures, le Luxembourgeois arrive à Saint-Ouen et m'informe être au courant de la cabale montée contre lui. Décidé à ne pas s'en laisser conter, il annonce que sa riposte serait cinglante si ses détracteurs persistent à lui chercher noise. « Ils font la danse du scalp autour de moi pour m'arracher mes trouvailles alors que je leur ai rien demandé et après avoir été rembarrés par des experts, ils m'accusent alors de les avoir pigeonnés. Je trouve vraiment déplorable l'attitude de ces marchands en chambre qui ne veulent gagner qu'à coup sûr, » me dit-il d'un ton dépité. Pour se changer les idées, Chester s'en va prendre un café en compagnie d'Ali dit « Baba cool » tandis que Michael, bredouille après avoir passé trois heures à arpenter le marché aux Puces, vient les rejoindre au comptoir. Quelques minutes plus tard, ce dernier apprend de la bouche du Luxembourgeois qu'il a perdu gros en se séparant il y a quelques années d'une vue de toits de Paris signée de Manguin, revendue la mort dans l'âme au prix qu'il avait payé après qu'elle eut été déclarée fausse par l'expert de cet artiste.
Michael reste bouche bée. Cette toile avait été refusée par l'ayant droit de l'artiste à cinq reprises et ne comprend pas comment elle a pu enfin être reconnue comme authentique. Chester lui raconte alors que son acheteur l'avait cédée à une femme qui était allée à son tour voir l'ayant droit. Excédé de revoir à nouveau ce qu'il considérait comme un faux, ce dernier l'avait éconduite mais tenace, elle avait fait des recherches et trouvé l'œuvre reproduite comme étant de Manguin dans un catalogue de vente de l'année 1932. Cette fois, l'expert a bien été forcé de changer d'avis. A l'évocation de cette histoire, Michael serre les dents et semble rager intérieurement d'avoir perdu l'équivalent d'une voiture neuve en se débarrassant de son tableau. « Cela renforce ma conviction que les erreurs d'expertise sont encore monnaie courante et que pour chaque trouvaille, les chineurs doivent impérativement effectuer des recherches approfondies avant de la soumettre à un expert et de lever ses doutes, » dit-il en reposant brutalement sa tasse de café sur le comptoir.
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