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" Il vaut mieux se perdre dans sa passion que perdre sa passion"
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
XIVème Chapitre
Enchères folles à Drouot
01 Avril 2002 |
Cet article se compose de 3 pages.
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Lundi 1er avril, j'apprends que le père d'une amie vient de mourir à 92 ans après plusieurs jours d'agonie. L'état de santé du vieil homme s'était dégradé subitement il y a quelques semaines et, à bout de forces, celui-ci avait décidé de ne plus lutter. Il a cependant mis longtemps à s'éteindre du fait que son coeur était muni d'un pacemaker qui régulait allègrement ses battements. Mardi 2 avril, je reçois la visite de Benoît Landais, le tourmenteur du Musée Van Gogh d'Amsterdam qui est progressivement monté en grade depuis que ses études sur certains tableaux qu'il a déclarés faux ont fait l'objet de débats appuyés de la part des experts patentés du peintre hollandais. On le prend donc plus au sérieux même si ses affirmations demeurent contestées en bloc mais cet enragé de la contradiction au look de soixante-huitard invétéré commence à être craint en haut-lieu. « Je me trouvais il y a peu dans le Musée Van Gogh en train d'examiner une toile de Vincent lorsque j'ai croisé le conservateur, qui faisait visiter les lieux au Premier ministre hollandais. Auparavant, celui-ci m'ignorait superbement mais là, il est venu immédiatement me saluer. Tu peux imaginer à quel point j'ai été sensible à la considération qu'on me témoigne à présent, » me dit-il la mine réjouie. On serait toutefois mal avisé de croire que Landais soit désormais prêt à faire des courbettes devant les responsables du Musée Van Gogh ou qu'il ait décidé de mettre de l'eau dans le vin de ses critiques. Il n'en est rien surtout que le bougre est sur le point de faire paraître un fascicule consacré à plus de 200 aquarelles qui auraient été réalisées durant la jeunesse du peintre, une redécouverte qui, dit-il, fera du bruit très prochainement. Bien entendu, les responsables du Musée d'Amsterdam n'ont pas vu la main de Van Gogh dans ces aquarelles mais Landais est persuadé qu'il disposera de tous les arguments pour le contredire. Landais me signale qu'en dehors du problème posé par Van Gogh, de nombreux experts sont actuellement de moins en moins enclins à prendre des risques pour authentifier des œuvres dénuées de pedigree et de provenance. « Hormis le fait d'irriter la personne qui lui présente une œuvre de qualité, un refus d'authentification représente une décision peu contraignante pour un expert. J'appelle cela jouer sur du velours », souligne Landais. Certains experts paraissent si sûrs d'eux qu'on reste parfois confondu devant l'étalage de leur science. A cet égard, la spécialiste de Raoul Dufy a probablement battu un record en estimant en cinq secondes qu'un projet de papier peint à l'aquarelle représentant des fleurs, semblant pourtant indiscutable aux yeux de plusieurs amateurs, n'était certainement pas de la main de l'artiste. En comparant personnellement ce projet à des dizaines d'œuvres similaires reproduites dans un livre consacré à Dufy, je n'ai vraiment pas eu la sensation qu'il ait pu être produit par un copiste. Un expert a néanmoins toujours raison, que sa décision soit prise en cinq secondes ou en six mois. Là-dessus, je n'ai rien à dire sinon qu'il serait amusant de trouver un copiste génial pour créer une œuvre destinée à tromper un spécialiste. Pour Dufy, il suffirait de demander au producteur et réalisateur de cinéma Gérard Oury, imitateur du peintre au tout début des années 1950, de reprendre ses pinceaux pour réaliser une aquarelle qui pourrait passer pour vraie. J'ose même subodorer que certains de ses pastiches ont dû être reconnus comme authentiques. Supputons, supputons…
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Lundi 1er avril, j'apprends que le père d'une amie vient de mourir à 92 ans après plusieurs jours d'agonie. L'état de santé du vieil homme s'était dégradé subitement il y a quelques semaines et, à bout de forces, celui-ci avait décidé de ne plus lutter. Il a cependant mis longtemps à s'éteindre du fait que son coeur était muni d'un pacemaker qui régulait allègrement ses battements. Mardi 2 avril, je reçois la visite de Benoît Landais, le tourmenteur du Musée Van Gogh d'Amsterdam qui est progressivement monté en grade depuis que ses études sur certains tableaux qu'il a déclarés faux ont fait l'objet de débats appuyés de la part des experts patentés du peintre hollandais. On le prend donc plus au sérieux même si ses affirmations demeurent contestées en bloc mais cet enragé de la contradiction au look de soixante-huitard invétéré commence à être craint en haut-lieu. « Je me trouvais il y a peu dans le Musée Van Gogh en train d'examiner une toile de Vincent lorsque j'ai croisé le conservateur, qui faisait visiter les lieux au Premier ministre hollandais. Auparavant, celui-ci m'ignorait superbement mais là, il est venu immédiatement me saluer. Tu peux imaginer à quel point j'ai été sensible à la considération qu'on me témoigne à présent, » me dit-il la mine réjouie. On serait toutefois mal avisé de croire que Landais soit désormais prêt à faire des courbettes devant les responsables du Musée Van Gogh ou qu'il ait décidé de mettre de l'eau dans le vin de ses critiques. Il n'en est rien surtout que le bougre est sur le point de faire paraître un fascicule consacré à plus de 200 aquarelles qui auraient été réalisées durant la jeunesse du peintre, une redécouverte qui, dit-il, fera du bruit très prochainement. Bien entendu, les responsables du Musée d'Amsterdam n'ont pas vu la main de Van Gogh dans ces aquarelles mais Landais est persuadé qu'il disposera de tous les arguments pour le contredire. Landais me signale qu'en dehors du problème posé par Van Gogh, de nombreux experts sont actuellement de moins en moins enclins à prendre des risques pour authentifier des œuvres dénuées de pedigree et de provenance. « Hormis le fait d'irriter la personne qui lui présente une œuvre de qualité, un refus d'authentification représente une décision peu contraignante pour un expert. J'appelle cela jouer sur du velours », souligne Landais. Certains experts paraissent si sûrs d'eux qu'on reste parfois confondu devant l'étalage de leur science. A cet égard, la spécialiste de Raoul Dufy a probablement battu un record en estimant en cinq secondes qu'un projet de papier peint à l'aquarelle représentant des fleurs, semblant pourtant indiscutable aux yeux de plusieurs amateurs, n'était certainement pas de la main de l'artiste. En comparant personnellement ce projet à des dizaines d'œuvres similaires reproduites dans un livre consacré à Dufy, je n'ai vraiment pas eu la sensation qu'il ait pu être produit par un copiste. Un expert a néanmoins toujours raison, que sa décision soit prise en cinq secondes ou en six mois. Là-dessus, je n'ai rien à dire sinon qu'il serait amusant de trouver un copiste génial pour créer une œuvre destinée à tromper un spécialiste. Pour Dufy, il suffirait de demander au producteur et réalisateur de cinéma Gérard Oury, imitateur du peintre au tout début des années 1950, de reprendre ses pinceaux pour réaliser une aquarelle qui pourrait passer pour vraie. J'ose même subodorer que certains de ses pastiches ont dû être reconnus comme authentiques. Supputons, supputons…
Vendredi 5 avril, les Puces de Saint-Ouen semblent aussi à l'agonie et si le marché de l'art continue à être actif c'est avant tout grâce aux salles de ventes qui sont pour lui comme un pacemaker. De nombreux stands étaient fermés comme en plein mois d'août et les chineurs n'ont rien trouvé de valable, Michael « le puits de science » se rabattant, une fois n'est pas coutume, sur un petit sabre japonais à la lame terriblement tranchante. Comme il n'enregistre actuellement que des déboires avec les experts, il peut toujours se faire hara-kiri avec sa trouvaille. Vers sept heures, rencontre avec André Bailly qui me révèle que la chasse du matin n'a rien donné. « Le marché aux Puces n'est gère actif en ce moment alors que dès n'importe quelle pièce intéressante mise en vente à Drouot atteint un prix de fou », me dit-il en dodelinant de la tête. Samedi 6 avril, petit tour à Vanves où les chineurs font grise mine. A part un dessin à l'encre de chine de Maillol qu'un brocanteur a décidé de ne plus vendre, il n'y a rien de valable dans les parages où rôde un redoutable chasseur surnommé "le dragon", amateur, entre autres, de vues de Paris de Cortès ou Luigi Loir entre autres et habitué à faire des coups qui font plutôt date. Il y a trois ans à Drouot, il avait acheté deux tableaux d'un peintre espagnol pour la somme ridicule de 100 FF. Bizarrement, personne ne voulait de ces toiles qui furent adjugées devant une salle comble à leur prix de départ. Le « Dragon » se marre en évoquant cet épisode puisqu'il de vient de revendre une de ces toiles dans une vente aux enchères pour 12 000 euros. Et de rigoler de plus belle en m'annonçant qu'il s'apprête à mettre en vente celle qui lui reste, en fait la plus grande. « 12 000 pour la petite et probablement 20 000 pour la grande. Ca fera plus de 30 000 euros pour une mise de 15. Qui dit mieux ? », me dit-il en s'esclaffant. Quelques mètres plus loin, je croise Chester Fielx qui, après une petite semaine de repos au Luxembourg, est reparti de plus belle dans sa chasse aux trésors. Depuis la vente de son autoportrait de Corot, acheté une misère et revendu pour 2,5 millions FFà un grand marchand d'art, Chester n'arrête plus de faire des découvertes. A peine revenu à Paris, il m'annonce avoir fait d'autres découvertes, notamment des papiers froissés de Kijno et un dessin à l'encre d'André Masson. La veine accompagne ce nouveau roi de la chine dont la stature ne cesse de grandir au point que sa seule crainte soit d'être trop jalousé par nombre de ses rivaux qui déjà trouvent sa baraka insupportable.
Dimanche 7 avril, marathon et manifestation pour Israël à Paris. Cela signifie une affluence réduite au marché aux Puces de Saint-Ouen où « Doc Mabuse » est revenu à son stand après avoir écumé la province à faire des adresses. Sa chasse a été plutôt bonne mais il n'a pas voulu attendre le déballage de vendredi prochain pour se défaire de ses trouvailles, probablement bien en dessous de leur valeur. Ce médecin-brocanteur se lamente de ne pas être chanceux après être passé plusieurs fois à côté de coups faramineux. « Il y a eu cette robe de grand couturier loupée chez Emmaüs qui a atteint un prix dément à Drouot et cette aquarelle de l'artiste argentin Alejandro Xul Solar (1887-1963) que j'ai négligée pour 1500 FF lors d'une vacation à Drouot et qui a fini dans les mains d'un brocanteur du marché de Vanves pour être ensuite revendue près de 100 000 euros. Et je ne compte pas mes autres glissades », me dit-il d'une voix amère. « Doc Mabuse» représente une énigme pour de nombreux chineurs qui le collent souvent aux basques comme des mouches virevoltant autour d'un camembert bien fait et pour cause, il ramène souvent des pièces intéressantes sans se douter qu'elles le sont. Voilà un champion de la découverte qui, à la manière de « Dédé de Montreuil » ignore la plupart du temps la teneur de ses exploits. Faire ainsi des erreurs de diagnostic, c'est plutôt un comble pour un médecin…
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