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Barbares, les Germains le devinrent en étant assoiffés de Rome...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IXème Chapitre
SOLARIO, O SOLE MIO …
01 Mai 2001 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Etre expert aujourd'hui c'est un peu comme se trouver dans la peau d'un chirurgien qui risque à n'importe quel moment d'être poursuivi si un de ses patients décédait à la suite d'une opération. L'expert est responsable de ses affirmations mais peut l'être aussi pour sa prudence comme certains procès récents l'ont démontré et dans le contexte actuel, faire authentifier une œuvre relève souvent du parcours du combattant. Les experts désirent plus que jamais être ancrés dans des certitudes pour éviter d'être critiqués et surtout de voir un jour leur opinion être remise en cause. Eric Turquin, considéré comme le meilleur spécialiste français dans le domaine des tableaux anciens, a notamment longtemps ressenti les affres de l'angoisse pour avoir expertisé un tableau représentant « Le Christ au Roseau » comme étant de la main du peintre italien Andréa Solario (1470-1520) et vendu au marchand Bruno Meissner à Drouot en juin 1994 pour la somme de 4,5 millions FF sans les frais. Peu après la vente, l'acquéreur fut saisi d'un doute sur l'authenticité de ce tableau en étant informé qu'il s'agissait plutôt d'une copie ancienne exécutée dans les Flandres à la fin du XVIe siècle. Meissner demanda donc l'annulation de la vente alors que Turquin avait fait valoir au tribunal qu'il avait requis l'avis de Sylvie Beguin, conservateur honoraire des Musées nationaux et auteur d'un ouvrage sur Solario. Turquin avait également sollicité l'opinion de David Alan Brown, conservateur à la National Gallery de Washington, et les deux spécialistes lui avaient donné une réponse positive au sujet de l'authenticité de cette œuvre sans toutefois la coucher par écrit. En mai 1998, un tribunal le condamna solidairement avec le vendeur à rembourser le prix du tableau parce qu'il ne put produire aucune attestation apte à conforter sa propre opinion. Heureusement pour Turquin, Sylvie Beguin lui adressa ensuite une lettre confirmant que le tableau était bien de Solario et que David Alan Brown était d'accord avec elle. De plus, une analyse dendrochronologique du bois du panneau sur lequel cette œuvre a été peinte a par la suite démontré que celle-ci datait des années 1500-1505, juste avant la présence en France de l'artiste. Il n'en reste pas moins que depuis trois ans, Turquin s'est montré plus prudent dans ses expertises, ce qui n'empêche pas par ailleurs que la prudence manifestée par certains de ses confrères puisse aussi les conduire en justice. C'est ce qui est arrivé à Jacques Kantor, autre expert parisien, qui avait présenté dans une vente à Versailles un tableau intitulé « La Fuite en Egypte » comme une œuvre de l'atelier de Poussin. En la circonstance, l'expert s'était basé sur le fait qu'il existait dans une collection aux Etats-Unis une composition identique de Nicolas Poussin considérée elle comme la seule authentique par le spécialiste Denis Mahon.
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Etre expert aujourd'hui c'est un peu comme se trouver dans la peau d'un chirurgien qui risque à n'importe quel moment d'être poursuivi si un de ses patients décédait à la suite d'une opération. L'expert est responsable de ses affirmations mais peut l'être aussi pour sa prudence comme certains procès récents l'ont démontré et dans le contexte actuel, faire authentifier une œuvre relève souvent du parcours du combattant. Les experts désirent plus que jamais être ancrés dans des certitudes pour éviter d'être critiqués et surtout de voir un jour leur opinion être remise en cause. Eric Turquin, considéré comme le meilleur spécialiste français dans le domaine des tableaux anciens, a notamment longtemps ressenti les affres de l'angoisse pour avoir expertisé un tableau représentant « Le Christ au Roseau » comme étant de la main du peintre italien Andréa Solario (1470-1520) et vendu au marchand Bruno Meissner à Drouot en juin 1994 pour la somme de 4,5 millions FF sans les frais. Peu après la vente, l'acquéreur fut saisi d'un doute sur l'authenticité de ce tableau en étant informé qu'il s'agissait plutôt d'une copie ancienne exécutée dans les Flandres à la fin du XVIe siècle. Meissner demanda donc l'annulation de la vente alors que Turquin avait fait valoir au tribunal qu'il avait requis l'avis de Sylvie Beguin, conservateur honoraire des Musées nationaux et auteur d'un ouvrage sur Solario. Turquin avait également sollicité l'opinion de David Alan Brown, conservateur à la National Gallery de Washington, et les deux spécialistes lui avaient donné une réponse positive au sujet de l'authenticité de cette œuvre sans toutefois la coucher par écrit. En mai 1998, un tribunal le condamna solidairement avec le vendeur à rembourser le prix du tableau parce qu'il ne put produire aucune attestation apte à conforter sa propre opinion. Heureusement pour Turquin, Sylvie Beguin lui adressa ensuite une lettre confirmant que le tableau était bien de Solario et que David Alan Brown était d'accord avec elle. De plus, une analyse dendrochronologique du bois du panneau sur lequel cette œuvre a été peinte a par la suite démontré que celle-ci datait des années 1500-1505, juste avant la présence en France de l'artiste. Il n'en reste pas moins que depuis trois ans, Turquin s'est montré plus prudent dans ses expertises, ce qui n'empêche pas par ailleurs que la prudence manifestée par certains de ses confrères puisse aussi les conduire en justice. C'est ce qui est arrivé à Jacques Kantor, autre expert parisien, qui avait présenté dans une vente à Versailles un tableau intitulé « La Fuite en Egypte » comme une œuvre de l'atelier de Poussin. En la circonstance, l'expert s'était basé sur le fait qu'il existait dans une collection aux Etats-Unis une composition identique de Nicolas Poussin considérée elle comme la seule authentique par le spécialiste Denis Mahon.
Estimé aux alentours de 200 000 FF, le tableau fut malgré tout vendu pour 1,6 millions à deux marchands qui parvinrent après la vente à faire établir son authenticité. S'estimant lésée, sa propriétaire ne manqua pas alors de demander l'annulation de la vente mais elle fut déboutée en 1996. Celle-ci s'est pourvue en appel et les deux experts nommés par le tribunal ont admis que le tableau était bien de Poussin. L'avis de ces derniers pourrait inciter le tribunal à annuler la vente mais par la même occasion obliger la vendeuse du tableau à dédommager les acquéreurs puisque l'œuvre vaut maintenant plus de 35 millions FF au bas mot. A osciller ainsi entre la certitude et la prudence, les experts ne savent plus à quel saint se vouer quoique l'hésitation semble désormais être de plus en plus de mise lorsqu'il s'agit d'émettre des opinions. Récemment, mon ami Michael dit «le puits de science» s'est vu refuser des œuvres qui paraissaient parfaitement authentiques au motif qu'il ne pouvait fournir des provenances incontestables et cela me conduit à penser plus que jamais que l'obtention par Chester Fielx d'un certificat pour son autoportrait de Corot a vraiment tenu du miracle… Faire des découvertes est une chose, parvenir à obtenir des certificats d'authenticité en est une autre car les experts veulent prendre un minimum de risques en émettant des opinions. A la limite, à partir du moment où elle paraît authentique, l'œuvre qui leur est soumise ne compte pas vraiment car son sort repose avant tout sur une provenance en béton. Néanmoins, certains petits malins ne trouvent trop difficile d'en inventer une en faisant appel à des gens bien connus des experts lesquels, en échange d'une substantielle commission en cas de succès, sont prêts à prétendre que l'œuvre à authentifier leur appartient depuis des lustres.
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