Samedi 9 juin, déjeuner au marché aux Puces de Saint-Ouen avec «Ben Claude», heureux découvreur naguère à Drouot d'un paysage de Norvège de Monet, qui essaie à présent de se lancer dans le courtage d'œuvres importantes après avoir noué des relations avec une ex antiquaire un peu loufoque laquelle de surcroît ne pige pas grand chose à la peinture. Pour l'instant, ses démarches n'ont rien donné- ce qui ne m'étonne pas- mais il ne désespère pas de parvenir à un résultat positif un de ces jours. N'ayant jamais fréquenté le monde des grands courtiers en tableaux, il peut toujours rêver.
Au détour de notre conversation, il me demande des nouvelles d'un chineur iranien nommé Shahbaz, celui-là même qui acheta un tableau du Douanier Rousseau représentant un singe en train de peindre d'après Decamps que «Dédé de Montreuil» avait confié à ce parasite de René Baril qui se contenta de le mettre en dépôt chez un marchand du marché Malassis.
Ayant demandé une somme de 4000 FF à Baril, un éternel vagabond originaire d'Angoulême devenu le collectionneur de «chefs d'œuvre» qui n'étaient en fait que des croûtes, «Dédé de Montreuil» n'avait jamais vu la couleur de son argent alors que le tableau avait été vendu pour 20 000 FF au dénommé Shahbaz par le marchand de Malassis.
Shahbaz avait ensuite été voir Henri Certigny, l'expert en charge de l'œuvre du Douanier Rousseau, qui lui avait délivré un certificat d'authenticité en s'octroyant au passage une somme de 100 000 FF mais l'Iranien s'en était bien tiré au bout du compte puisqu'il avait pu revendre cette toile pour quelque 750 000 FF en Allemagne.
S'estimant lésé à plus d'un titre, «Dédé de Montreuil» avait porté plainte mais avait eu la désagréable surprise d'être débouté après une confrontation avec Baril qui n'avait pas permis d'établir la preuve d'un vol.
Entre-temps, l'expert du Douanier Rousseau avait tenté de le convaincre de renoncer à sa plainte en lui signalant qu'il ne pourrait vraiment rien contre lui.
-Shahbaz ? Mais il est mort depuis près de trois ans…
Ma réponse laisse «Ben Claude» complètement ébahi.
«Mort ? Mais, c'est incroyable !… Dédé sera drôlement surpris. Mais, dis-donc, il était jeune pourtant», me dit-il.
- Oui, une quarantaine d'années. D'après ce qu'on m'a dit, il a été victime d' une septicémie foudroyante…
«Eh ben, ça alors», lâche-t-il un brin stupéfait en ajoutant que ce tableau semble avoir porté malheur à ceux qui l'ont eu entre les mains puisque Baril, Shahbaz et Certigny et même une coiffeuse installée près de Drouot qui l'avait eu deux semaines en dépôt sont tous morts alors que le marchand de Malassis a disparu de la circulation.
Y-aurait-il une malédiction autour de ce tableau ? Les coïncidences paraissent en effet troublantes mais qu'importe puisque le pauvre «Dédé» n'a rien pu obtenir de sa trouvaille, pas même le remboursement de sa trouvaille pour laquelle il avait déboursé 250 FF.
J'ajouterai que le brave homme semble lui-même maudit puisque, pris littéralement de panique chaque fois qu'il trouve un trésor, il s'en débarrasse illico-presto pour trois fois rien.