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Pierre Soulages: Un de mes premiers dessins réalisés vers l'âge de 5 ans fit rire toute ma famille. J'avais balafré de noir une feuille de papier. Quand on me demanda ce que c'était, je répondis "un paysage de neige". Avec le noir, j'avais simplement voulu rendre le blanc du papier plus blanc...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
VIIème Chapitre
UN GRAND TROU SIGNE SISLEY…
01 Avril 2001 |
En 1959, il devint le premier ministre de la Culture mais était connu comme un buveur invétéré qui sommeillait souvent durant le Conseil des ministres. Il se prétendit en outre comme le seul successeur véritable de De Gaulle. En 1962, sujet à de graves dépressions, il dut subir des traitements intensifs pour se soigner. Trois ans plus tard, il parvint à rencontrer Mao Tse Toung durant seulement huit minutes mais déclara que l'entretien avait duré plus de trois heures, concrétisant celui-ci dans un livre, «Les Antimémoires», à travers ces échanges entre grands hommes. Il se prétendit également polyglotte alors qu'il ne parlait que le français et qu'il n'avait aucunement fréquenté l'Ecole des Langues Orientales comme il le faisait croire. Vaniteux à l'extrême, il finit par écœurer son entourage et ulcéra Gaston Gallimard, son éditeur. En 1972, invité par le président Nixon, il exposa des vues fantaisistes sur la Chine et son ignorance laissa les officiels américains pantois et effectua ensuite d'autres voyages en se faisant toujours passer pour le grand homme qu'il n'était pas. Malraux, chantre du Gaullisme et conscience de la France, n'était donc qu'un charlatan qui avait su se fabriquer une incroyable légende pour finir au Panthéon. Olivier Todd restaure une vérité peu glorieuse sur cet incroyable manipulateur et mystificateur qui, à travers ce livre, nous apparaît terriblement pitoyable. Un mythe s'effondre, du moins pour ceux qui croyaient dur comme fer que Malraux était un pur héros…. Attention, j'ajoute que le mot pitoyable est à prendre dans le contexte du livre qui écorne la légende et qu'il s'applique surtout à la France pour avoir aveuglément sacralisé Malraux qui a eu le don merveilleux de passer pour ce qu'il n'était pas réellement. Et qu'importe si ce mythe s'est forgé à travers moult mensonges et histoires fabriquées de toutes pièces si on songe déjà que le propre de l'homme est de tenter de se sublimer. Et pour y parvenir, tous les moyens peuvent sembler bons, ce qui fait que le registre des impostures est devenu plutôt très épais depuis des siècles. Il serait d'ailleurs intéressant de procéder à un examen approfondi de ce registre mais une telle entreprise demanderait des années. Déjà, la Bible fourmille de textes qui laissent souvent songeur, à commencer par l'histoire de la création alors qu'on sait qu'il a fallu des milliards d'années pour que notre univers soit formé. Dieu serait-il donc un imposteur ? Voilà bien une question sacrilège apte déjà à susciter un débat éternel. En outre, ses Dix Commandements donnés à Moïse, que certains historiens ont présenté comme un prêtre égyptien qui se servit de la cause des Hébreux pour asseoir sa gloire, ont souvent invité les hommes à les transgresser plutôt qu'à les respecter. Et puis, en faisant des Juifs le «Peuple Elu» ne les aurait-t-il pas forcés quelque part à devenir sans cesse les principaux boucs émissaires de l'humanité?
Dans le domaine de l'art, on aurait aussi le tournis à répertorier les impostures, notamment concernant Léonard de Vinci, considéré souvent comme supérieur à d'autres artistes légendaires et pourtant, celui-ci produisit vraiment peu d'oeuvres en partageant son temps entre ses recherches scientifiques et l'art. L'astuce admirable de Malraux a été de transformer le banal en extraordinaire tout comme le firent avant lui des personnages mythiques comme Alexandre le Grand, Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Luther, Napoléon, Garibaldi ou De Gaulle. N'empêche, il fut malgré tout un grand écrivain, un rêveur qui sut introduire ses fantasmes dans le contexte du réel. A travers le livre de Todd, le mythe est mité certes, mais la légende demeure, quasiment intacte puisqu'on n'osera pas demander le retrait de ses cendres du Panthéon. Lundi 23 avril, rencontre avec J.C, heureux salarié mis au placard depuis des années, qui passe ses journées de oisiveté à chiner. Il m'annonce rapidement avoir trouvé au marché de Vanves un véritable trésor acheté pour la modique somme de 250 francs. - Mais encore ? - Ca, je ne peux pas encore le chanter sur les toits, mais l'authentification de ce que j'ai trouvé est en bonne voie. Le bougre ne veut pas en dire plus mais il en a déjà trop dire. Je le presse de questions et il finit par lâcher le morceau comme je m'y attendais. «Il s'agit d'un tableau de 20 paysages. L'ennui est qu'il a présente un énorme trou en son centre car il a dû être abîmé dans un incendie», me dit-il d'un ton sibyllin. - Un énorme trou ? Et tu appelles ça un trésor ? «Certainement car cette toile porte la signature de Sisley. Or, j'ai appris que plusieurs de ses tableaux avaient été détruits dans un incendie», ajoute-t-il avec l'air de celui qui a trouvé un chef d'œuvre. J'essaie de m'empêcher de pouffer de rire. Un tableau dont il ne reste à peine que la moitié de sa composition, même s'il est de Sisley, ne vaut plus grand chose mais J.C n'en démord pas. Il y a une partie du ciel et du paysage et un personnage qui font que son Sisley est à ses yeux une merveille.
Je ne vois qu'un moyen de donner de la valeur à son Sisley mutilé dont il me vante la qualité de son châssis à clés, c'est de le confier à l'artiste Daniel Spoerri qui ne manquerait pas de l'intégrer dans une œuvre de son cru en l'intitulant «L'Art fait son trou», accroché sur ce qui ressemblerait à un mur avec d'autres objets autour comme le bidet de Duchamp, la pipe de Van Gogh et ses fameux reliefs de repas. Mercredi 25 avril, visite à Beaubourg pour l'exposition sur le Pop Art avec un détour pour voir l'installation de l'artiste suisse Thomas Hirshhorn qui vit à Paris et qui a été récompensé du prix Marcel Duchamp 2000 pour la création présentée au musée, un assemblage fait de chaînes retenant des livres, des postes de télévision enrubannés de bandes autocollantes, de papier d'aluminium et de miroirs collés ou cassés. Un capharnaüm sans nom qui étonne les visiteurs mais qui me rend toutefois perplexe car il y a un manque de souci esthétique évident dans ce trucmuche conceptuel évoquant une grotte pleine d'objets récupérés ou plutôt la réserve mal entretenue d'une grande surface commerciale. C'est un peu du n'importe quoi et j'ai du mal à saisir le véritable propos de l'artiste dont la création paraît bordélique à souhait.
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