Dimanche 17 décembre, je visite la boutique d'un ami qui discute avec Maurice S., brocanteur à Vernaison, qui lui dit que le métier n'est plus ce qu'il était et qu'il envisage d'arrêter après plus d'un quart de siècle d'activité. La salle Drouot a drainé de nombreux amateurs depuis une décennie, au détriment du marché aux Puces et Maurice déclare que ces derniers sont devenus comme des joueurs de casino prêts à dépenser des sommes folles pour des choses vendues bien moins cher aux Puces. Il suffit d'être dans une salle pour être entraîné dans une incroyable spirale et s'engager dans un duel d'enchères avec d'autres pour s'emballer au-delà de la limite du raisonnable. Comme l'activité s'est grandement déplacée du côté de Drouot, il va sans dire que les Puces pâtissent de cette situation.
Soudainement, j'aperçois J.R qui entre dans la boutique. Celui-ci n'a pas vu Maurice sur l'instant mais lorsque ce dernier se retourne, il devient brutalement livide.
- Tiens ! Et mes trois mille balles ?
«Vos trois mille balles ?», balbutie J.R qui tarde à comprendre le pourquoi de cette répartie.
- Oui… La came que je vous avais confiée il y a de cela dix-huit mois. J'attends toujours mon argent !
- Ah… Vous voulez parler de ces babioles… Euh… Ce n'était pas grand chose… J'ai eu du mal à les fourguer d'ailleurs…
- Pas grand chose… Si vous ne pouviez pas les vendre au prix que je vous avais fixé, il fallait alors me les rendre surtout que je les avais en dépôt. Faudrait veiller à me payer sinon ça va mal aller pour vous.
Le propriétaire de la boutique regarde Maurice d'un air entendu tandis que le visage de J.R a viré au cramoisi. Pour augmenter sa trouille, il lui raconte alors qu'il y a quatre ans, Maurice n'avait pas hésité à casser la figure d'un marchand à l'intérieur même de l'Hôtel Drouot parce que ce dernier n'avait pas respecté sa parole au sujet d'un lot qu'ils devaient acheter ensemble.
J'emboîte le pas en affirmant à J.R que cette histoire est tout à fait vraie et que les vigiles de Drouot avaient dû intervenir pour faire cesser la bagarre au cours de laquelle le marchand avait failli être massacré.
Maurice se met d'ailleurs à tancer J.R de plus en plus vertement et le menace carrément de lui faire sa fête.
- Je… Je vous promets de vous rembourser très rapidement mais… c'était vraiment des petites choses…
- Petites choses ou pas, vous n'êtes qu'un vil escroc et ça ne va pas se passer comme ça !
- Vous avez ma parole. Je vais vous donner quelque chose en échange… Tiens, j'ai un bronze qui ferait l'affaire. Vous pouvez compter sur moi…
«C'est ça !», lui lance alors Maurice qui quitte la boutique l'air furibard.
J.R pousse alors un soupir de soulagement et s'éponge le front. Il était vraiment moins une qu'il se fasse casser la figure mais c'est là la rançon de son attitude qui consiste à se faire confier de la marchandise par des brocanteurs en oubliant de régler ensuite leur dû.
Justement, J.R vient demander au marchand qu'il est venu voir de lui confier un objet à vendre en promettant de lui rapporter l'argent dans une dizaine de jours ou de lui proposer un échange avantageux. Ce dernier l'a en fait déjà vu venir.
- Alors, si je comprends bien, je vous confie un truc et dans dix jours, je me retrouve comme Maurice, c'est bien cela ?
- Pas du tout. Je n'oserai pas vous faire un coup pareil !
Là, je me mets à rigoler car je sais que J.R a déjà joué de sacrés tours à ce marchand, notamment après lui avoir emprunté un lot de dessins qu'il avait évidemment oublié de payer. Cette affaire avait duré deux mois durant lesquels J.R avait disparu jusqu'au jour où le marchand l'avait surpris dans le marché Saint-Paul et fait un scandale devant plusieurs confrères, ce qui avait amené J.R à faire amende honorable, à genoux s'il vous plait, devant des témoins ébahis. Depuis lors, ce dernier a soigneusement évité de s'attirer les foudres du marchand lequel connaît suffisamment bien ce personnage pour se permettre de jongler avec lui quoique le jeu s'avère à la longue usant.