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Un mauvais peintre copie, un peintre de talent pille...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Ier Chapitre
J.R, SOMBRE HÉROS D'UN FEUILLETON INTITULE «DALLART»
01 Mai 2000 |
Cet article se compose de 3 pages.
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J'ai eu également l'occasion de croiser un autre fou d'art intelligent, un certain J.R, encore plus génial dans le domaine des découvertes mais autrement plus redoutable vis à vis de ceux qu'il lui arrive de côtoyer. Il vit en clandestin à Paris depuis une vingtaine d'années après avoir perdu son passeport et oublié de renouveler sa carte de séjour. Ayant été réfractaire au service militaire dans son pays il y a vingt-cinq ans, il n'a jamais osé demander de nouveaux papiers d'identité de peur d'avoir à y rendre des comptes.
Ne pouvant donc vivre qu'en marge des lois, ce roi de la chine, qui est obligé de vivre dans des hôtels borgnes, ne peut donc rien faire officiellement et doit trouver les moyens de survivre en se contentant souvent de ce que veulent bien lui donner ceux à qui il propose certaines de ses mirifiques trouvailles.
A la longue, ce chineur hors pair est devenu une sorte de parasite amené à quémander souvent quelque aumône de la part de ses acheteurs alors que les jours maigres, il cherche à emprunter à droite ou à gauche des petites sommes qui finissent par représenter des montants conséquents au bout de quelques mois.
Cela l'a finalement conduit à raser les murs de Paris pour ne pas tomber sur quelque créancier rancunier tandis que les jours fastes, il n'hésite pas à faire bombance en profitant d'une soudaine manne tombée du ciel qui le fait disparaître des semaines entières quelque part au bord de la mer.
Un fou dangereux dénué de scrupules, prêt à dépouiller Pierre, Paul ou Jacques pour se procurer les quelques billets qui lui permettront de mieux rebondir. Un individu irritant, déterminé à utiliser toutes les ruses, les compromissions et les bassesses possibles pour survivre mais aussi un personnage doté du fabuleux pouvoir de la découverte.
Bien sûr, il ne trouve pas des chefs d'œuvre à chaque virée chez les brocanteurs de Paris et des alentours mais chaque semestre, il tombe sur quelque chose d'intéressant, sinon de magique, qui peut l'amener à obtenir un certificat d'authenticité synonyme de bingo.
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J'ai eu également l'occasion de croiser un autre fou d'art intelligent, un certain J.R, encore plus génial dans le domaine des découvertes mais autrement plus redoutable vis à vis de ceux qu'il lui arrive de côtoyer. Il vit en clandestin à Paris depuis une vingtaine d'années après avoir perdu son passeport et oublié de renouveler sa carte de séjour. Ayant été réfractaire au service militaire dans son pays il y a vingt-cinq ans, il n'a jamais osé demander de nouveaux papiers d'identité de peur d'avoir à y rendre des comptes.
Ne pouvant donc vivre qu'en marge des lois, ce roi de la chine, qui est obligé de vivre dans des hôtels borgnes, ne peut donc rien faire officiellement et doit trouver les moyens de survivre en se contentant souvent de ce que veulent bien lui donner ceux à qui il propose certaines de ses mirifiques trouvailles.
A la longue, ce chineur hors pair est devenu une sorte de parasite amené à quémander souvent quelque aumône de la part de ses acheteurs alors que les jours maigres, il cherche à emprunter à droite ou à gauche des petites sommes qui finissent par représenter des montants conséquents au bout de quelques mois.
Cela l'a finalement conduit à raser les murs de Paris pour ne pas tomber sur quelque créancier rancunier tandis que les jours fastes, il n'hésite pas à faire bombance en profitant d'une soudaine manne tombée du ciel qui le fait disparaître des semaines entières quelque part au bord de la mer.
Un fou dangereux dénué de scrupules, prêt à dépouiller Pierre, Paul ou Jacques pour se procurer les quelques billets qui lui permettront de mieux rebondir. Un individu irritant, déterminé à utiliser toutes les ruses, les compromissions et les bassesses possibles pour survivre mais aussi un personnage doté du fabuleux pouvoir de la découverte.
Bien sûr, il ne trouve pas des chefs d'œuvre à chaque virée chez les brocanteurs de Paris et des alentours mais chaque semestre, il tombe sur quelque chose d'intéressant, sinon de magique, qui peut l'amener à obtenir un certificat d'authenticité synonyme de bingo.
Cet homme n'a aucune dignité ni aucun sens moral pourvu qu'il puisse s'acheter des cigarettes, boire ses six bières quotidiennes, jouer aux courses, s'offrir un bon restaurant et payer ses nuits passées dans des hôtels crasseux.
Nul ne sait donc où il habite et encore moins s'il refera surface après vous avoir tapé au pire de 500 francs ou de 1000 francs et au mieux de vous avoir vendu une croûte ou un infime dessin en vous promettant que la prochaine fois, il vous présentera un truc fabuleux propre à vous rembourser largement de votre générosité.
Il faut en fait attendre qu'il soit complètement aux abois pour le contraindre à sortir de sa manche le truc sensationnel, fruit d'un achat inimaginable, telle cette petite toile d'Emile Bernard de l'époque de Pont Aven, chinée pour 25 FF et cédée, toutefois par dépit, à mille fois son prix d'achat à un créancier devenu las d'attendre un remboursement de 100 000 francs qui ne semblait plus venir.
Il lui reste un extraordinaire auto-portrait de Van Gogh, acheté une bouchée de pain avec l'Emile Bernard, qu'il finira bien pas sortir un jour mais qu'il ne désire pas montrer pour l'instant en affirmant que ce bijou fait partie de sa collection personnelle.
En attendant, il s'est joué d'un rêveur très récemment en vendant à celui-ci ce qu'il a prétendu être l'autoportrait du légendaire Vincent, la pipe à la bouche devant son chevalet, un tableau plutôt dans la manière de, plat et insipide qui faisait penser à la pub du Canada Dry, une limonade qui a le goût de l'alcool mais qui n'a rien d'alcoolisé.
Rien à voir avec le superbe portrait de la taille d'une carte postale que Van Gogh gardait dans sa poche et que J.R possède ; une œuvre à mettre le marché de l'art dans tous ses émois et qu'une de ses victimes a eu l'insigne honneur d'examiner avec l'eau à la bouche.
Ce trésor, J.R ne le sortira que lorsqu'il sera complètement acculé et celui qui attend le remboursement du fameux certificat d'authenticité qu'il lui a obtenu pour l'Emile Bernard entend bien mettre la main dessus, histoire de lui faire payer sa rouerie.
Mais attention, vous pouvez toujours insulter J.R mais ce sera en vain. Il rampera devant vous mais essaiera toujours de vous avoir. Il faut donc se livrer à un jeu sordide d'où on risque de ne pas sortir gagnant car l'animal a d'infinies ressources.
Ce n'est pas pour rien que depuis une vingtaine d'années, il a pu se sortir constamment de situations parfois désespérées avec une nuée de dupés à ses trousses. Il vous vendra dix croûtes d'affilée alors que la onzième pourrait par contre déboucher sur un certificat d'authenticité qui lui conférera une grosse valeur. Le seul problème est d'avoir à supporter cet infernal trublion qui rend fous ceux qu'ils abusent.
Avec J.R, on se retrouve plongé dans un feuilleton interminable dans le genre de «Dallas», un «soap opera» se jouant au fil d'un scénario qui se détermine au fur et à mesure, avec le pétrole en moins et la peinture en plus, plutôt palpitant mais également glauque et quelque part éprouvant pour ses différents acteurs.
J.R, avec son air de traître à l'esprit fourbe, semble ainsi avoir la capacité inouïe de passer au travers des embûches avec le don incroyable de trouver chaque année une œuvre valant mille fois plus que son pesant d'or.
Certains ont néanmoins le courage d'attendre le moment où il se trouvera exsangue financièrement et forcé de sortir de dessous son lit la pièce majeure qu'il n'aura pas eu le temps de négocier à sa juste valeur ou du moins, à un prix appréciable pourvu qu'il puisse trouver un acheteur peu regardant quant au moyen de le régler en espèces. La race d'acquéreurs au noir a cependant commencé à devenir clairsemée depuis ces dix dernières années en raison des restrictions légales relatives aux paiements en liquide qui sont devenues de plus en plus contraignantes.
Imaginez, s'il trouvait un tableau valant plus d'un million de francs sur le marché, J.R serait obligé de solliciter une personne disposée à lui consentir une avance en espèces et en échange, à lui rétrocéder 50% de la valeur de l'œuvre en question en acceptant que celle-ci prenne sur elle de la vendre officiellement aux enchères et qu'elle encaisse le montant de la vente sur son propre compte bancaire. Ne pouvant faire autrement, J.R risquerait d'être à la merci d'un malhonnête qui se bornerait à ne lui verser que cette fameuse avance sans lui donner sa part une fois la vente réalisée.
J.R marche donc sur le fil du rasoir en demeurant tel un individu sans identité devenu une sorte de chineur inconnu qui voit le nombre de ses créanciers augmenter sans cesse, ce qui fait que sa marge de manœuvre devient sans cesse plus étroite.
Combien de fois n'a-t-il pas joué une sordide comédie pour emprunter quelque tableau ou dessin chez un marchand en lui affirmant pouvoir le vendre pour son compte à un bon prix et en promettant de lui rapporter immédiatement la somme obtenue alors que jamais il n'acquittera sa dette ? Vingt fois ? cinquante fois ? Cent fois ? Nul ne peut savoir. Envolé le tableau ou le dessin emprunté et un ennemi de plus à son compteur !
Combien de fois a-t-il vendu ce qu'on appelle des «bananes», des choses sans aucune valeur, en prétendant contre vents et marées que celles-ci étaient certainement de la main d'un grand artiste ou en annonçant sans ambages qu'il allait apporter un truc formidable la prochaine fois ? Cent fois ? Mille fois ? Nul encore ne peut le dire.
Il suffit de ne pas être dupe quant à sa fourberie pour essayer de tirer profit de la situation inconfortable dans laquelle il se trouve afin de lui soutirer les bonnes pièces qu'il garde en réserve, histoire au passage de se rattraper pour les fois où on a été roulé. Ceux qui ont eu affaire à lui vous diront sans peine que ce personnage est toujours apte à vous causer les pires tourments en parvenant à vous soutirer de l'argent après même vous avoir grugé. Il semble en fait quasiment impossible de se débarrasser de ce personnage visqueux dénué de tout amour-propre mais non d'orgueil, à moins de réussir à s'emparer au moment opportun du trésor qu'il a longtemps gardé caché. En attendant, il semble que cet incroyable J.R, qu'on flanque à la porte mais qui revient par la fenêtre, ne cessera pas de rendre malade bien des marchands et certains fous d'art qui croisent sa route.
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