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Un peintre qui crève de faim risque d'avoir une mauvaise fin…
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIIème Chapitre
BAILLY EN PASSE D'ETRE DOUBLE...
01 Novembre 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Etre le découvreur d'une œuvre importante peut s'avérer ne pas être payant si celle-ci devient l'objet d'un classement comme trésor national par l'Etat. Ces derniers jours, le marchand Charles Bailly, qui avait acquis il y a quelques mois dans une vente à Nancy un tableau représentant le Reniement de Saint-Pierre attribué à un peintre lorrain du XVIIe siècle, est en passe de faire les frais de la nouvelle loi de juillet 2000. Cette disposition, censée avantager les propriétaires de trésors nationaux, permet au détenteur d'une œuvre classée de la négocier au prix du marché avec l'Etat lequel dispose d'une période de 30 mois pour l'acquérir. Passé ce délai, le propriétaire de l'œuvre peut la vendre à sa guise à l'étranger. Le tableau que Bailly a acheté, estimé 100 000 FF au départ, a atteint la coquette somme de 9,2 million FF (frais compris) après une vive bataille d'enchères. Pour Bailly, qui n'était cependant pas le seul à se forger une opinion bien tranchée, ce tableau avait été probablement exécuté par un des frères Le Nain. L'Etat n'a ensuite pas manqué de classer ce tableau, mettant ainsi le marchand dans une fâcheuse posture puisqu'il a dû emprunter une grosse partie de la somme misée sur ce tableau. Placé dans l'impossibilité d'exporter cette œuvre, Bailly doit en sus payer des intérêts sur la somme empruntée et risque de devoir vendre ce tableau au Louvre pour un montant égal au prix de l'adjudication, soit environ 8,4 millions FF. Le voilà ainsi pénalisé pour ses compétences sans espérer tirer profit de sa découverte à moins que l'Etat ne parvienne pas à acquérir cette œuvre durant les 30 mois à venir. La nouvelle loi est tellement pernicieuse que certains propriétaires d'œuvres importantes n'osent plus s'en séparer dans des ventes aux enchères car une décision de classement qui interviendrait à la veille d'une vente conduirait à une adjudication inférieure au prix du marché avec à la clé une préemption des musées de France. Cela est arrivé récemment à Drouot et les experts conseillent maintenant aux propriétaires de telles œuvres de les retirer d'une vacation pour éviter de subir un préjudice important. Bailly, lassé des tracasseries administratives, envisagerait , dit-on, d'aller s'installer en Suisse alors que d'autres menaces pèsent sur les collectionneurs puisqu' un texte de loi prévoyant l'inclusion des objets d'art dans l'impôt sur la fortune a été soumis au parlement à la mi-octobre. En cas d'adoption de ce texte, le rêve de voir Paris regagner la place qui était la sienne il y a trente ans sur le marché de l'art s'envolerait à coup sûr et créerait une situation néfaste à souhait car de nombreux collectionneurs seraient tentés de s'installer dans un paradis fiscal ou à tout le moins de réaliser des transactions clandestines. Bonjour le marché noir !
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Etre le découvreur d'une œuvre importante peut s'avérer ne pas être payant si celle-ci devient l'objet d'un classement comme trésor national par l'Etat. Ces derniers jours, le marchand Charles Bailly, qui avait acquis il y a quelques mois dans une vente à Nancy un tableau représentant le Reniement de Saint-Pierre attribué à un peintre lorrain du XVIIe siècle, est en passe de faire les frais de la nouvelle loi de juillet 2000. Cette disposition, censée avantager les propriétaires de trésors nationaux, permet au détenteur d'une œuvre classée de la négocier au prix du marché avec l'Etat lequel dispose d'une période de 30 mois pour l'acquérir. Passé ce délai, le propriétaire de l'œuvre peut la vendre à sa guise à l'étranger. Le tableau que Bailly a acheté, estimé 100 000 FF au départ, a atteint la coquette somme de 9,2 million FF (frais compris) après une vive bataille d'enchères. Pour Bailly, qui n'était cependant pas le seul à se forger une opinion bien tranchée, ce tableau avait été probablement exécuté par un des frères Le Nain. L'Etat n'a ensuite pas manqué de classer ce tableau, mettant ainsi le marchand dans une fâcheuse posture puisqu'il a dû emprunter une grosse partie de la somme misée sur ce tableau. Placé dans l'impossibilité d'exporter cette œuvre, Bailly doit en sus payer des intérêts sur la somme empruntée et risque de devoir vendre ce tableau au Louvre pour un montant égal au prix de l'adjudication, soit environ 8,4 millions FF. Le voilà ainsi pénalisé pour ses compétences sans espérer tirer profit de sa découverte à moins que l'Etat ne parvienne pas à acquérir cette œuvre durant les 30 mois à venir. La nouvelle loi est tellement pernicieuse que certains propriétaires d'œuvres importantes n'osent plus s'en séparer dans des ventes aux enchères car une décision de classement qui interviendrait à la veille d'une vente conduirait à une adjudication inférieure au prix du marché avec à la clé une préemption des musées de France. Cela est arrivé récemment à Drouot et les experts conseillent maintenant aux propriétaires de telles œuvres de les retirer d'une vacation pour éviter de subir un préjudice important. Bailly, lassé des tracasseries administratives, envisagerait , dit-on, d'aller s'installer en Suisse alors que d'autres menaces pèsent sur les collectionneurs puisqu' un texte de loi prévoyant l'inclusion des objets d'art dans l'impôt sur la fortune a été soumis au parlement à la mi-octobre. En cas d'adoption de ce texte, le rêve de voir Paris regagner la place qui était la sienne il y a trente ans sur le marché de l'art s'envolerait à coup sûr et créerait une situation néfaste à souhait car de nombreux collectionneurs seraient tentés de s'installer dans un paradis fiscal ou à tout le moins de réaliser des transactions clandestines. Bonjour le marché noir !
Les enfants d'un octogénaire de l'Indre viennent d'apprendre que la toile fatiguée que ce dernier avait punaisée sur le mur de leur chambre était en fait une œuvre de jeunesse d'Eugène Delacroix. L'œuvre en question représente une marine et porte la signature du maître. Un beau jour, les enfants du vieil homme ont décidé de la soumettre à un spécialiste en peinture de la région qui n'a pas manqué de sursauter en l'examinant. Celui-ci est catégorique, il s'agit d'un authentique Delacroix qui pourrait bien valoir plus de 20 millions de francs. Il reste maintenant à l'analyser et dans le cas d'une opinion favorable, le restaurer et le mettre sur châssis. Peut-on imaginer combien de trésors dorment ainsi à travers la France ? Probablement encore une flopée. En attendant, cette histoire ne cesse plus de faire rêver les chineurs de l'Hexagone. La nouvelle ayant été diffusée par la presse et la télévision, des milliers de foyers vont probablement être passés au peigne fin par leurs occupants qui ne vont plus considérer les croûtes accrochées sur leurs murs comme de vulgaires chromos. Il suffirait d'ailleurs qu'un producteur de télévision se mette en tête de lancer une émission du genre «Cherchez vos trésors à la maison» pour que la France entière se livre à un jeu passionnant qui consisterait à retourner leurs domiciles, leurs greniers et leurs caves en dessus-dessous pour dénicher ce qui représenterait un véritable billet gagnant du loto. On finira bien par découvrir que le tableau chargé de vernis jauni qui trône dans le salon depuis des lustres est un authentique Poussin, que les vieux papiers entassés dans un coin du grenier sont en fait des dessins de grands maîtres, que le vase en verre décoré de fleurs en reliefs est en réalité une pièce rare de Gallé, que la commode déglinguée qui dort dans la cave est en fait un chef d'œuvre de Boulle ou de RVLC et je ne sais qui encore. Heureux les antiquaires qui pouvaient arracher pour une bouchée de pain un magnifique trésor entre les années 1920 et 1970 car aujourd'hui, avec le système d'information qui treille le monde, les individus ne restent plus dans l'ignorance. Cherchez et vous trouverez. Voilà une belle maxime à remettre au goût du jour car il ne se passe pas une seule semaine dans l'année sans que l'on ressorte une œuvre majeure oubliée depuis des lustres. Disons qu'il reste devant nous moins d'une vingtaine d'années pour faire le tour de la question car les choses vont de plus en plus vite. Ensuite, il ne restera pratiquement plus rien à découvrir en dehors des fouilles archéologiques. Tout sera remisé dans des musées ou dans des collections prestigieuses et les seules œuvres qu'on trouvera sur le marché seront contemporaines. Les chineurs qui vivaient au XIXe et jusqu'au début des années 1970, ne connaissaient pas vraiment leur bonheur. L'ennui est qu'il n'y avait pas un marché aussi développé qu'aujourd'hui. A titre d'exemple, un tableau primitif, allemand ou italien, ne valait qu'un millier de francs d'aujourd'hui au début du XIXe siècle. Il fallut aussi un Viollet-le-Duc pour remettre le Moyen-Age en lumière après 1830 mais les collectionneurs ne formaient pas encore un gros contingent. Avant 1900, les Impressionnistes n'étaient pas au goût du jour. Quelques années plus tard, ils devinrent les valeurs sûres d'un marché qui n'était qu'à ses premiers véritables balbutiements. A présent, presque tous les domaines ont été tamisés et les chineurs en sont réduits à ne ramasser que des miettes alors que les redécouvertes se font de plus en plus rares. Ainsi va la vie...
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