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Une oeuvre d'art n'appartient pas à celui qui la regarde mais à celui qui sait la regarder (Marcel Duchamp)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Ier Chapitre
PETIT COURS D'HISTOIRE
01 Mai 2000 |
Jeudi 25 mai 2000, cours sur l'histoire de l'art du bronze devant dix-neuf élèves, deux éléments masculins et dix-sept filles et femmes. Trois heures pour leur donner de bonnes notions sur la sculpture en bronze et leur faire connaître quelques artistes essentiels. A l'évidence, la future génération de spécialistes en art sera de plus en plus composée de femmes. Sacré changement en perspective. Déjà durant ce cours éreintant pour la voix, les filles se sont montrées les plus curieuses et les plus pertinentes au niveau des questions quoique j'ai été une nouvelle fois surpris de constater que la plupart de mes élèves n'avaient pas encore acquis les clés nécessaires pour mieux appréhender l'art. J'ai donc encore du pain sur la planche en perspective. A la longue j'espère quand même que certaines d'entre elles deviendront des folles d'art. On ne peut pas dire que les femmes ont été nombreuses à sombrer dans ce genre de délire qui consiste à aimer l'art à la folie. A part des artistes comme Laetitia Teerlinck, Sofonisba Anguisciola, Artemisia Gentileschi, Louise Moillon, Clara Peeters, Judith Leyster, Margherita Caffi, Rachel Ruysch, Maria-Sybilla Merian, Catharina Treu, Rosalba Carriera, Angelica Kauffmann, Elisabeth Vigée-Lebrun, Anne Vallayer-Coster, Rosa Bonheur, Eva Gonzales, Berthe Morisot, Mary Cassatt, Suzanne Valadon, Paula Modersohn-Becker, Marie Laurencin, Sonia Delaunay, Chana Orloff, Natalia Gontcharova, Alexandra Exter, Marie Vassilieff, Marie Marevna, Maria Elena Vieira da Silva, Louise Nevelson, Germaine Richier, Georgia O'Keefe, Dorothea Tanning, Frieda Kahlo, Louise Bourgeois, Tamara de Lempicka, Dora Maar, Niki de Saint-Phalle et quelques autres encore ainsi que des passionnées comme Missia Natanson, Gertrude Stein, Huguette Bérès, Françoise Cachin ou Louise Leyris, les folles d'art n'ont pas été vraiment légion jusqu'à présent. Assurément, les choses sont sur le point de changer durant ce XXIe siècle. Les hommes n'ont qu'à bien se tenir… Le 22 mai 2000, le marchand de tableaux Daniel Templon s'est retrouvé devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour s'être mal comporté vis-à-vis de Richard Rodriguez, cet autre fou d'art qui en 1994 était venu lui dire à la FIAC qu'un des tableaux du célèbre Jean-Michel Basquiat qu'il présentait sur son stand était purement et simplement un faux. «De quoi je me mêle ?», lui avait sèchement répondu le marchand et dont la répartie entraîna une polémique qui se termina déjà une première fois devant un tribunal. Rodriguez, qui, reconnaissons-le, n'avait fait que son devoir de connaisseur, s'était contenté de faire remarquer à Templon qu'il avait dû se faire abuser par celui qui lui avait vendu ce tableau litigieux, c'est à dire le dénommé Vadj Baghomian, un marchand de New-York dont la réputation au sujet de la commercialisation de certaines œuvres de Basquiat laissait vraiment à désirer. Offusqué, et loin d'écouter ce casse-pied, le marchand parisien s'était associé avec son pourvoyeur new-yorkais pour le poursuivre. Mal lui en prit car Rodriguez, un des premiers découvreurs de Basquiat, avait 100% raison. Résultat: il fut condamné pour procédure abusive mais au lieu de reconnaître le bien-fondé de cette intervention, il voua à Rodriguez une haine féroce et se permit à nouveau de l'injurier en le traitant de «cinglé» lors de l'émission «Artrafic» diffusée par la chaîne câblée «Planète» du 4 au 10 novembre 1999. Retour donc devant la justice, cette fois-ci pour diffamation.
Templon, c'est un grand nom du marché de l'art contemporain et chacune des expositions qu'il organise dans sa galerie ne manque pas d'attirer la crème de la crème des gens «in». Toutefois, à y regarder de plus près, ce marchand à surtout tendance à baser sa réussite sur des peintres reconnus, souvent étrangers. De plus, il a noué d'étroites relations avec les pouvoirs publics et a pu ainsi obtenir des subventions mirobolantes, de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de francs, pour se faire construire un mirifique centre d'art contemporain dans le sud de la France. La gloire ! Bref, pour le galeriste, Rodriguez est un empêcheur de tourner en rond alors que ce dernier estimait simplement lui rendre service en mettant fin à un trafic de faux. En l'accusant de se mêler de ce qui ne le regarde pas, le marchand fait semble-t-il fausse route au sujet de son autorité sur Basquiat mais n'a pas vraiment tort concernant un autre registre puisque si Rodriguez a parfaitement le droit de ramener sa fraise au sujet de cet artiste, ce dernier se permet par ailleurs depuis quelques années de mettre en doute l'authenticité de plusieurs tableaux du célèbre Van Gogh. Concernant Basquiat, je ne doute donc pas un instant que l'oeil de Rodriguez soit infaillible car il connaît tout de l'œuvre de cet artiste d'origine haïtienne mort d'une overdose à 28 ans et vite récupéré par des marchands qui n'ont pas mis longtemps à en faire une nouvelle légende du marché de l'art. Ainsi, un artiste qui disparaît tragiquement ou prématurément peut rapidement devenir comme de l'or en barre dans les salles de ventes et les galeries huppées. Ce genre de récupération post-mortem n'est pas nouveau. Ainsi, Van Gogh ne valait pas un fifrelin du temps de son vivant. Trente ans après sa mort, on en avait fait un roi de la peinture puis l'artiste le plus cher de la planète. Aujourd'hui, les choses vont encore plus vite et un Basquiat ou un Keith Haring, celui-là emporté par le Sida, sont devenus les valeurs montantes de l'art contemporain depuis moins de dix ans. Rodriguez, lui, n'a pas attendu la disparition de Basquiat pour s'intéresser à son œuvre et acquérir certains de ses dessins et tableaux à l'époque où cet artiste ne faisait pas la une des journaux.Voilà un amateur qui a vraiment eu du flair mais je ne le suis pas sur toute la ligne concernant Van Gogh. Aimer Vincent est une chose, prétendre connaître à fond son œuvre et son style en est une autre et les diatribes de Rodriguez et de certains de ses amis « révisionnistes » contre les conservateurs du musées d'Orsay et les spécialistes patentés de Van Gogh ont été de nature à mettre le monde de l'art en émoi et à entraîner certains journalistes à publier des articles tendancieux. Pourtant, aucune des œuvres contestées par Rodriguez et consorts n'a été déclassée jusqu'à ce jour, pas même le «Jardin à Auvers» de l'ancienne collection Walter, resté invendu par les héritiers de son dernier possesseur après avoir fait l'objet d'une sanglante remise en cause dans «Le Figaro». En attendant, ceux qui remettent en cause l'authenticité de certaines œuvres de Van Gogh font partie d'un nouveau genre de groupuscule terroriste qu'on pourrait appeler par dérision le «Hezbollart», un nom en forme de question («est-ce beau l'art ?»), et qui est devenu comme un mouvement de guérilla qui s'active de plus en plus contre de nombreux spécialistes et experts longtemps considérés comme indéboulonnables, ceux qui notamment font la pluie et le beau temps au sujet des œuvres de Van Gogh, d'artistes impressionnistes et modernes et même des maîtres anciens comme Rembrandt et qui renvoient brutalement dans les cordes des gens qui osent les défier. Concernant le mythique Vincent, ces spécialistes ont malgré tout souvent raison mais parfois tort car certaines œuvres, qui pourraient bien être authentiques, n'ont pas trouvé grâce à leurs yeux.
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