Le Musée du Louvre présente du 22
février au 22 mai 2017 une splendide exposition consacrée à Vermeer et les
peintres intimistes de son temps avec douze chefs d'oeuvre du maître de Delft
dont on ne con naît pas grand chose sinon qu'il ne peignit pas plus de deux
tableaux par an.
Dans un monde régi par le calvinisme qui
dénonçait l'appétit de l'argent, les Néerlandais visaient néanmoins la
prospérité à travers le commerce maritime et les échanges avec leurs voisins européens
en manifestant un goût prononcé pour le luxe comme nombre de peintures représentant
leurs intérieurs le démontrèrent.
Les artistes actifs entre 1620 et 1700
ne se privèrent donc pas de peindre des maisonnées ornées de riches décorations
et remplies d'objets raffinés pour exalter l'opulence de leurs propriétaires
vêtus de riches habits de velours ou de
satin montrés en train de converser, de jouer de la musique ou d'écrire sur des
tables recouvertes de tapis précieux avec des tableaux ou des cartes du monde
accrochées aux murs.
A l'austérité des églises protestantes
s'opposait le luxe de la vie quotidienne des grands bourgeois néerlandais rythmée par un rituel particulier reproduit
dans tant de peintures exécutées avec maestria par des maîtres comme Gérard
Dou, Gérard Ter Borch, Frans et Willem van Mieris, Eglon van der Neer, Nicolas
Maes, Pieter de Hooch, Jan Steen, Gabriel Metsu et Vermeer.
Ces artistes rivalisèrent de talent pour
peindre des soieries, des scènes intimistes ou d'intérieurs suggérant
l'existence dorée des nantis, parfois avec humour comme dans ces scènes
montrant une servante taquinant à l'aide d'une
paille le nez d'un personnage endormi, avec tendresse pour montrer une femme s'occupant
de son perroquet, avec attention pour peindre une scène de musique ou la visite
d'un médecin ou avec un regard concentré sur le calme reposant d'un intérieur
où la présence d'une servante ou de sa propriétaire est à peine perceptible.
Dou, Ter Borch, Metsu et bien d'autres
s'amusèrent à peindre des scènes intimistes avec là un soupirant venant visiter une jeune donzelle, là
une demoiselle discutant en galante compagnie ou un couple buvant suavement un
nectar, là une femme en train de jouer du virginal ou encore une autre aidée à
se lever ou à se maquiller par une servante mais aucun ne parvint à refléter
l'atmosphère de recueillement et d'introspection exhalée par Vermeer dans ses oeuvres.
Le peintre de Delft s'attacha en
particulier à jouer avec la lumière venue d'une fenêtre pour éclairer un visage
ou un mur en visant à explorer la
réflexion intérieure de ses sujets perdus dans des pensées que le spectateur est
invité à deviner. On comprend alors pourquoi Vermeer mit un temps fou à exécuter ses
oeuvres en travaillant méticuleusement chaque pose, chaque plan et chaque détail pour extirper
la quintessence du thème qu'il choisissait.
Prenons par exemple les deux tableaux
montrant l'astronome revêtu d'une riche robe de chambre , absorbé dans une longue méditation, la main posée sur un globe
avec une carte du monde derrière lui dans un intérieur nimbé de lumière qui a
lui seul nous convie brutalement au voyage rien que par la pensée. Sur quelques centimètres
carrés, le peintre nous ouvre ainsi un livre qui constitue à lui seul un roman.
On se rend compte que Vermeer se
comportait avant la lettre comme un photographe (il utilisait d'ailleurs une camera obscura
pour son travail) pour traduire un moment réel avec plein de sous-entendus dans
chacun de ses tableaux qui, au contraire des scènes de genre de ses rivaux qui
semblent se répéter à l'envi, restent ancrés dans nos mémoires pour devenir des
icônes comme la Femme à la Perle ou la Laitière, reprise, elle, par une
fabrique actuelle de produits laitiers pour sa publicité.
Vermeer a su ainsi traduire des
instantanés devenus indélébiles dans nos esprits en démontrant de loin sa
supériorité sur les autres peintres qui exhalèrent avant tout la grâce et une science du détail et de l'anecdote sans vraiment nous émouvoir comme il a pu le faire jusqu'à parvenir génialement à restituer un instant donné pour nous
permettre d'humer l'atmosphère d'une composition savamment mise en scène et de nous faire pénétrer subrepticement dans une pièce pour surprendre une
conversation à laquelle nous ne sommes toutefois pas conviés.
Que fait cette lettre froissée et jetée
au sol alors que la jeune femme assise à sa table s'attelle à en rédiger une autre sous le
regard interrogatif de sa servante ? S'agit-il d'une missive destinée à un
amoureux dont les intentions la rendent perplexe ? Que contient celle que tient
entre ses mains une jeune femme en bleu
ou cette autre remise par sa servante à sa récipiendaire qui vient de laisser tomber à terre son balai et son linge ?
Dans un chacun de ses tableaux, Vermeer décline une histoire, un moment spécial de la vie en décrivant des sensations pour se muer dans la peau d'un détective de
la peinture déterminé à faire parler le silence dont nous sommes également invités à percer son mystère.
Il reste à savoir qui était ce peintre
mort brutalement d'une crise cardiaque à 43 ans au moment où les Pays-Bas
étaient confrontés à une guerre avec les armées de Louis XIV pour croire qu'il
fut la victime collatérale des mesures prises pour échapper à leur invasion qui
entraînèrent l'inondation volontaire de certains pans de leur territoire et par
ricochet, une sévère crise économique dont il fut vraisemblablement victime.
Mort ruiné et resté longtemps oublié jusqu'au XIXe siècle après avoir seulement produit entre trente et cinquante de tableaux, dont une vingtaine vendus à un fidèle couple d'admirateurs, on ne
sait pratiquement rien de Vermeer si ce n'est la date de son baptême, l'année
de sa mort et celle où il entra à la guilde de Saint-Luc ainsi que sa
conversion au catholicisme pour épouser celle qu'il aimait et qui lui donna
onze enfants.
On peut néanmoins
imaginer que loin d'être un génie solitaire il fut en étroite relation avec
plusieurs peintres de genre de son temps comme l'exposition du Louvre tend à le
prouver en présentant douze de ses peintures avec près de 60 oeuvres de ses pairs pour mettre en
évidence une circulation des mêmes thèmes entre les artistes et démontrer
qu'il reprenait leurs idées pour les transformer lentement à sa manière en
produisant donc, pense-t-on, pas plus de 50 tableaux au cours de sa courte carrière
alors que plus de 5 millions étaient sorties des ateliers des peintres
néerlandais au cours du Siècle d'Or. Toujours est-il que du fait qu'il sut rendre ses peintures admirablement si vivantes on peut le placer sur
un piédestal à l'égal de son compatriote Rembrandt qui fut bien plus prolifique que lui.
Adrian Darmon