Mardi 6 février, rencontre avec Philippe Marin qui dirige à Arcueil l'une des plus importantes sociétés de fournitures pour artistes. Ce jeune homme pressé a la formidable chance de pouvoir être au contact de la plupart des grands peintres contemporains qui viennent en priorité se fournir chez lui. Il me montre ainsi une toile au grain spécialement élaboré pour le pastel à l'intention de Sam Szafran et me fait ensuite visiter ses locaux où trônent des œuvres exceptionnelles signées notamment de Rebeyrolle, Erro, Hucleux et d'autres belles pointures. Rien que du superbe qui pourrait figurer dans n'importe quel musée renommé.
Philippe Marin entretient un rapport privilégié avec les artistes à tel point que quelque part, il participe souvent à l'élaboration de leurs oeuvres, ce qui m'amène à lui suggérer l'idée de créer une galerie mais il me répond tout de go qu'il n'en sera jamais question.
«Ce n'est pas mon métier», ajoute-t-il tout en prenant connaissance d'un volumineux courrier.
«Tiens, une lettre de Garouste !», s'exclame-t-il fièrement en m'avouant dans la foulée qu'il aime les créations de cet artiste.
A midi, il doit rencontrer Roberto Matta, un des derniers grands chefs de file du Surréalisme qui a dit saisir le monde par ses gestes et a depuis longtemps pris parti pour l'Homme et les combats sociaux. Marin a ainsi le fantastique privilège de pouvoir côtoyer un des derniers géants de la peinture lequel, âgé aujourd'hui de près de 90 ans, a plutôt tendance à vivre comme un solitaire.
Mon interlocuteur, qui a l'allure d'un candide, ne mesure pas vraiment la portée des rapports vraiment extraordinaires qu'il a noués avec de nombreux artistes. Ainsi, il s'en va bientôt à New-York pour un séjour de trois jours durant lequel il doit voir Julian Schnabel. Ce dernier lui a notamment passé commande de fournitures appropriées pour son travail et tient absolument à le rencontrer pour lui montrer ses oeuvres et évoquer ses nouveaux projets... Voilà donc un homme qui ne fait pas grand cas de la chance inouïe qu'il peut avoir...
S'il avait eu l'âme d'un marchand, ce bougre aurait pu jouer un rôle considérable sur le marché de l'art mais rien à faire, il ne désire absolument pas s'affubler d'une deuxième casquette. Dommage…
A 17 heures 30, un coup de fil impromptu vient me rappeler à plus de décence dans mes écrits et là, je reconnais humblement que mon clavier a salement dérapé. La foudre me tombe littéralement dessus pour quelques lignes malencontreuses qui se sont glissées lors d'un moment d'inattention dans ma belle rage d'écrire ce journal d'un fou d'art. Pour ce débordement excessif, que j'avoue inutile, je n'ai donc pas d'autre recours que de demander pardon mais on me refuse brutalement l'absolution malgré l'effacement immédiat de ces mots tendancieux. Promis, juré, on ne m'y reprendra pas, mais suite à la promesse vengeresse de me faire de terribles misères, la choucroute risque maintenant de se transformer en cornet de frites puisqu'il est tout simplement question de briser ma carrière et de faire interdire artcult.com, rien que cela. Il me reste ainsi à attendre de savoir à quelle sauce je serai mangé…
Vendredi 9 février, après 48 heures éprouvantes pour les nerfs alors que je dois batailler comme un dément pour terminer une encyclopédie de peintres et de sculpteurs, j'effectue malgré tout mon habituelle promenade matinale au marché aux Puces de Saint-Ouen où les bons coups sont devenus excessivement rares.
Il pleut des cordes et de plus il fait frisquet, mais cela n'a pas empêché mon ami Michaël de dénicher au marché Jules Vallès une huile sur papier signée de Clavé qui pourrait être parfaitement authentique. Affaire à suivre donc pour ce chineur acharné qui aura eu peut-être raison de se mouiller pour ainsi dire jusqu'à l'os.
A neuf heures, ce cher Chester Fielx me donne rendez-vous au café «La Tête d'Argent». On discute de tout et de rien pour en venir à évoquer Drouot où il n'y a rien de vraiment valable à vendre en ce moment avant qu'il ne me parle de sa dernière trouvaille. Le Luxembourgeois semble avoir une veine insolente puisqu'il m'apprend que dimanche dernier il a chiné à Vanves une nature morte du peintre allemand Lovis Corinth.
«Des chrysanthèmes pour 300 FF… Ca vaut peut-être bien un billet de cent mille», me dit-il en précisant que ce tableau figurait parmi un tas de croûtes déballées sur le trottoir. Il ne restera plus à Chester qu'à offrir le 1er novembre prochain un bouquet de chrysanthèmes à cet infortuné marchand qui lui a vendu ce tableau et qui aurait probablement une attaque en apprenant sa bévue...
«Après la vente de mon autoportrait de Corot, voilà une petite prime supplémentaire en perspective», glousse-t-il en en tapotant le comptoir comme sur un tam-tam. Chester nage dans le bonheur et cela me fait plaisir quelque part de constater qu'il reste encore pas mal de trésors à découvrir. Il suffit en fait d'avoir l'œil et le bon…