La principale accusée, Irène Menskoï, gouvernante de Valentine Chagall dite « Vava » est absente et pour cause, elle a été assassinée par son mari, devenu jaloux de la voir mener subitement la belle vie après avoir vendu des œuvres du maître obtenues dans des conditions plus que douteuses. Absente également, Josée-Lynne Falcone, une marchande bien en vue à la fin des années 1980 qui acheta de nombreux Chagall apparemment détournés par la gouvernante et qui depuis s'est réfugiée au Québec après avoir subi une détention préventive pour le moins éprouvante après la découverte de cette affaire.
Il reste dans le box des accusés, Jean-Luc Verstraete, un ancien taupier transformé en courtier, celui qui fut directement en relation avec la gouvernante, le propriétaire de la galerie Adler, un spécialiste de la période 1880-1950, qui achetèrent eux aussi des Chagall provenant de la propriété de Saint-Paul-de-Vence, ainsi que le directeur de la galerie Marcel Bernheim, qui se chargea surtout de faire authentifier les œuvres du maître toutefois en faisant preuve de naïveté quant à leur provenance et dont la réputation a été de ce fait ruinée.
Présenté par les journalistes chargés de couvrir ce procès comme un personnage corpulent ayant l'air d'un vigile de supermarché plutôt nigaud, le courtier a été décrit par ailleurs par les psychiatres comme influençable et d'un faible niveau intellectuel.
Les chroniqueurs judiciaires se sont aussi demandés comment Verstaete, vendeur de voitures de luxe, représentant et autre, a pu évoluer avec autant de facilité dans le monde de l'art. Bref, selon ce dernier, ce serait Guerra, son compagnon d'alors et son mauvais génie, qui l'aurait conduit a appeler en 1988 les héritiers de Marc Chagall, disparu trois ans auparavant, et ce, dans le but d'entrer en contact avec Valentine, sa veuve, pour savoir si elle était disposée à vendre des œuvres de son défunt mari. Toutefois, lorsqu'il téléphona à la villa de Saint-Paul-de-Vence, ce fut Irène Menskoï qui lui répondit.
A l'en croire, cette dernière lui fixa rendez-vous à la villa, où il eut, dit-il, alors l'occasion de rencontrer «Vava», décédée depuis, mais au bout du compte, ce fut Irène Menskoï qui se chargea personnellement de lui céder des gouaches et de nombreuses lithographies du maître qu'il revendit notamment à Josée-Lynne Falcone et aux autres prévenus.
A la question de savoir s'il pouvait se douter que les œuvres qu'il avait obtenues de la gouvernante avaient en fait été subtilisées, Verstraete a répondu benoîtement que la gouvernante de la veuve Chagall lui avait toujours affirmé que cette dernière les lui avait offertes ou confiées pour être vendues.
Il est ressorti de ses déclarations que les véritables organisateurs du trafic auraient été Josée-Lynne Falcone et Guerra alors que son rôle n'avait été que de servir d'intermédiaire pour convaincre Irène Menskoï de lui céder des œuvres.
Tout s'était passé donc sans anicroche jusqu'au moment où l'affaire avait éclaté au grand jour peu après le meurtre de la gouvernante par son mari, lequel n'avait apparemment pas supporté de la voir s'éloigner de lui en voulant mener la grande vie.
Selon « Le Figaro », il a paru stupéfiant que les autres prévenus aient pu considérer l'ancien taupier comme un « intermédiaire distingué » mais à cet égard, il existe des tas de professionnels dans les hautes sphères du marché de l'art qui ont été bernés par d'étranges personnages au cours de leur carrière en étant éblouis par l'étalage de leur train de vie ou simplement parce que l'attrait de l'argent facile a été plus fort que tout tandis que la raréfaction de bonnes pièces sur le marché les a conduits à explorer toutes les pistes susceptibles de les mener vers des sources d'approvisionnement en oubliant au passage toute prudence élémentaire.
Il convient aussi de souligner que de nombreux courtiers du marché de l'art agissent comme des VRP dont les connaissances en art sont quasiment nulles. Il leur faut simplement avoir de l'entregent, du bagout et de l'audace pour jouer les intermédiaires en s'introduisant dans les milieux huppés, c'est à dire là où l'argent circule. Ce n'est donc pas plus difficile que cela. Il suffit d'ailleurs d'aller dans les cocktails des vernissages pour découvrir toute une faune au sein de laquelle figurent les gens du genre pique-assiette et d'autres individus spécialistes de la courtisanerie bien appuyée qui ramassent au passage d'intéressantes cartes de visite propres à les mener là où il y a ensuite de belles affaires à réaliser.
Ayant expliqué au tribunal qu'il recevait des gens qu'il ne connaissait pas et qui lui proposaient des œuvres à vendre, un des galeristes s'est vu reprocher par la présidente de ne pas avoir pris la peine de se renseigner sur la provenance des œuvres qu'il avait achetées. Pour sa défense, il a simplement répondu que dans ce genre de transaction, tout repose sur la confiance et les relations. Néanmoins, on n'était pas sans savoir dans le milieu de l'art que la veuve de Chagall n'était guère disposée à vendre quoi que ce soit de ce qu'elle possédait.
En attendant, les prévenus ont eu tendance à se défausser les uns sur les autres et surtout sur les absents. On croit néanmoins savoir que Valentine Chagall avait oublié de répertorier ou de faire photographier les œuvres stockées à Saint-Paul-de-Vence, une omission coupable pour ouvrir plus facilement la porte au trafic qui s'était opéré à son insu.
Quoiqu'il en soit, il est évidemment regrettable que la gouvernante ne soit plus de ce monde car elle aurait pu éclairer le tribunal sur son rôle exact et celui de chacun des protagonistes de cette affaire difficile à dénouer…